Quarante journalistes de 18 des 23 pays de la Méditerranée (Algérie, Croatie, Egypte, Espagne, France, Grèce, Israël, Italie, Liban, Malte, Maroc, Monaco, Portugal, Slovénie, Syrie, Tunisie et Turquie) réunis à Menton pour le premier Menton médias Méditerranée (MMM), à l'initiative du Club de la presse Méditerranée 06, ont débattu pendant deux jours (les 16 et 17 janvier) des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier et des entraves qu'ils rencontrent. A noter que si des journalistes israéliens ont pu faire le déplacement à Menton, cela n'a pas été le cas du correspondant palestinien de RFI et de La Croix à Ghaza, pilonnée par l'armée israélienne. Des débats animés, vifs, voire tendus avec comme toile de fond les bombardements de Ghaza par l'armée israélienne et le black-out israélien sur l'information internationale par l'empêchement des journalistes étrangers de se rendre à Ghaza pendant l'offensive armée. A telle enseigne que la rédaction et l'adoption de la déclaration clôturant cette rencontre, dite « Déclaration de Menton », ont été très laborieuses tant chaque idée, chaque mot, a fait l'objet de discussions serrées d'arguments et de contre-arguments. Non moins laborieuse et difficile a été la publication d'un communiqué de solidarité avec « les journalistes tombés ou blessés à Ghaza, ainsi qu'avec ceux empêchés d'exercer leur mission journalistique dans ce conflit ». Dans ce même communiqué, les journalistes réunis à Menton « contestent par ailleurs toutes les entraves à l'exercice du métier, pouvant aller jusqu'à la privation de la liberté et jusqu'aux atteintes à l'intégrité physique des hommes et des femmes de médias de la Méditerranée ». Dans leur déclaration finale, les journalistes réunis dans le cadre du premier Menton Médias Méditerranée constatent qu'il existe entre eux « un accord sur les fondamentaux de la pratique journalistique : rigueur, vérification systématique de l'information, séparation entre faits et commentaires et renforcement du travail d'investigation ». « Nous savons que nos pays vivent des situations différentes, pourtant, nous voulons croire plus que jamais à un destin méditerranéen commun », ajoutent-ils. Et aussi « nous demandons à toutes les organisations concernées par la Méditerranée, qu'elles soient gouvernementales, politiques, économiques ou associatives, de défendre le droit à l'information plurielle pour les 465 millions d'habitants concernés et celui des journalistes à exercer leur métier en toute liberté et en toute sécurité ». « Nous vivons la révolution technologique des médias. Nous la souhaitons porteuse de liberté et respectueuse des valeurs et des règles journalistiques. » « Nous réclamons l'égal accès à une formation professionnelle complète pour les jeunes journalistes ainsi qu'une formation continue pour les professionnels en exercice. » « Nous attirons l'attention sur la nécessité d'assurer aux femmes journalistes l'égalité des chances, des moyens ainsi que l'accès aux postes de responsabilités ». Et enfin « nous nous engageons à œuvrer activement pour atteindre ces objectifs » et « nous restons mobilisés pour les voir devenir réalité ». Partager la parole, est-ce possible ? Cette déclaration est issue des travaux de quatre ateliers qui ont porté sur « L'information en Méditerranée : les choix, les angles, les cibles » ; « femmes et journalistes en Méditerranée » ; « l'information et les nouvelles technologies » ; « la formation des journalistes : tous à la même école ? » Un débat public a été également engagé à la faveur de cette rencontre entre les journalistes et des habitants de la ville de Menton autour du thème « Méditerranée : la bataille de l'info ». Le MMM, premier du nom, « s'inscrit dans une dynamique de l'échange et du partage des expériences. Il est l'aboutissement d'une démarche engagée depuis plusieurs années par le club de la presse Méditerranée 06 », a souligné son président, Dominique Antoni, avec le soutien de la ville de Menton. « Définir un langage commun qui constituera le socle d'un dialogue novateur de médiation au-delà des frontières et des fractures de l'espace méditerranéen ». Et de souligner qu'« au moment où l'Union de la Méditerranée s'efforce de créer de nouvelles dynamiques, il faut partager la parole et, dans le domaine qui est le nôtre, celui de l'information, travailler à décloisonner notre Méditerranée. Nous ne savons pas si c'est possible, mais c'est très certainement nécessaire ». L'idée est généreuse, mais que d'embûches, d'obstacles, de préjugés et d'a priori ne doivent-ils pas être, d'abord, surmontés ? Au cours de leurs échanges, souvent houleux ou dans leur débat avec le public, de nombreuses questions d'actualité se sont imposées d'elles-mêmes aux journalistes présents : « Quelle frontière entre l'information et la propagande dans des pays en situation de guerre ? » « Quelle latitude a le reporter lorsque son pays est impliqué ? » « L'information, une autre façon de continuer la guerre ? » Il a été aussi relevé que si globalement dans les pays du Sud, la liberté de la presse est malmenée par un contrôle étatique, sur la rive nord, le pouvoir de l'argent exerce un contrôle direct ou indirect sur les médias et sur l'information. « Qui donne ordonne », a-t-il été rappelé. La précarisation de plus en plus marquée de la profession sur la rive nord est source de préoccupation. Les entraves à la liberté de circulation, la désinformation, la manipulation et l'instrumentalisation. Autant de situations qui ont un impact direct sur l'information diffusée par les grands canaux médiatiques, au détriment et aux dépens du travail de terrain. « Notre marge de manœuvre a tendance à se réduire alors qu'on a envie d'apporter notre témoignage depuis le terrain des opérations », a précisé Christian Chesnot, (ex-otage en Irak), journaliste à France Inter, qui a été invité par les organisateurs de la rencontre de Menton à en être le grand témoin. Et de constater « un matraquage de l'information… Les lignes se brouillent, l'exercice du métier est de plus en plus difficile ». Et de constater par ailleurs l'inquiétude et le désarroi, voire l'impuissance exprimés par ses confrères face à l'explosion des nouvelles technologies. « Tous les repères sont en train de tomber, le public n'a jamais été autant informé que désinformé. » Le journaliste a perdu le monopole de l'information, il doit compter avec un « journalisme civique », « citoyen » et s'adapter, mais ce journalisme citoyen ne doit pas effacer le journalisme de terrain, de témoignage.