Dans la langue kabyle, Taâssast signifie la gardienne, la protectrice. Comme elle est aussi, pour les Béjaouis du moins, synonyme de l'attente. A Béjaïa, c'est aussi le nom que porte depuis des lustres ce vieux quartier qui semble justement être dans l'expectative, dans l'attente de pouvoir se soustraire à l'oubli. Des programmes d'aménagement ont été votés et hoummat errih, c'est comme ça qu'on l'appelle aussi, n'a vu souvent que du vent. Coincé là-haut entre les bâtiments qu'ont érigés les Yougoslaves à Sidi Ahmed et les premières bâtisses post-indépendance de Sidi Ouali, le quartier peut se targuer seulement d'offrir une vue dominante sur le cœur battant de la ville. Ce qu'il faut pour observer les beaux réverbères de la joyeuse grande avenue de la Liberté. On envie aux gens d'en bas cette chance que n'ont pas les gens d'en haut : celle d'être au beau milieu de la vitrine de la ville et de profiter des avantages des opérations répétées de lifting urbaines. Consolés par la réfection partielle du tronçon de rue qui est resté longtemps raviné, qui monte étroitement vers Dar Essaqia et les quartiers de la haute ville, les habitants de Taâssast n'ont pas encore abrégé les désagréments de l'absence de quelques commodités d'une vie meilleure, comme par exemple, les bringuebalements estivaux et têtus de jerricanes qui reviennent plus souvent qu'ailleurs dans la ville. « Le soulagement » du dernier été est une exception qu'on espère devenir une règle. Le quartier, qui peut paraître comme mis en stand-by et à qui l'on ne peut envier, malgré tout, que son bon vivre villageois et sa vie communautaire, garde l'aspect d'une vieille houmma où le temps ne s'écoule pas comme ailleurs. Volontariat « Cela fait cinq mois que nous courrons vers l'APC pour un problème d'éclairage », nous dit le président d'une nouvelle association de quartier qui est venue prendre sur elle les revendications des habitants de la partie Est du quartier qu'on appelle Les Impasses pour ces sans issues qui terminent ses rues. Des espaces où l'amoncellement d'ordures, le camion de ramassage ne passant pas par ici, a fait d'eux des décharges publiques collées au décor quotidien au point de faire réagir des habitants convaincus de l'urgence de se structurer pour défendre leur cadre de vie. L'association baptisée Serrir Abdelkrim vient rejoindre deux autres associations socioculturelles déjà existantes à Taâssast (l'ancienne, Hamerih, et la nouvelle, Mezaï Abdelkader, qui reprend l'actuel nom administratif du quartier). Quatre escaliers urbains relient les différentes parties des Impasses. « L'APC nous a promis leur réfection », se console Omar Kherzi, président de l'association, qui attend depuis mai dernier son agrément. Conscient de ne pas devoir rester confinés dans l'attente du document de la DRAG, au risque de moisir, le petit groupe militant de l'association a préféré investir le terrain. Et c'est avec fierté qu'on exhibe aujourd'hui ce diplôme qui désigne Taâssast, meilleur quartier de la ville pour 2005 à l'issue d'un concours organisé par l'APC à l'occasion de la Journée de l'environnement. Pourtant, cette distinction symbolique ne soustrait pas Taâssast de son statut de quartier nécessiteux, mais couronne tout juste des actions de volontariat qui ont fait qu'une trentaine de poubelles à roulettes est placée un peu partout et des parties de chaussées défoncées bitumées. Faute d'éclairage suffisant pour un problème de transformateur d'une faible capacité (qui a vu naître des générations), il reste que le ramassage des ordures ménagères s'effectue de jour. « Les poubelles sont aujourd'hui lavées chaque matin », précise M. Kherzi, dont l'association comprend un peu plus d'une vingtaine d'adhérents. L'APC sortante leur a offert un micro-ordinateur et des promesses. L'assemblée communale est partie et, pour les promesses, il faudra voir avec la prochaine qui reste à élire. « Trottoirs badigeonnés, quelques opérations de bitumage et autres actions timides », c'est l'essentiel des souvenirs qu'ont des habitants du bilan de la commune dans leur quartier. « Ce qui est fait, l'a été en grande partie par les moyens de l'association », nous dit Malek Bouchebah, président de l'association Hamerih, qui existe depuis 1990, du nom de l'ancienne dénomination du quartier dans lequel une girouette ou un moulin à vent y a existé. Comme y a été érigé un fort espagnol devenu au temps du colonisateur un poste de garde et qui a inspiré le nom de Taâssast. Le fort, une construction dégradée, est aujourd'hui habité par une famille. « Il faut mettre en valeur l'aspect touristique du quartier », recommande M. Salemi, trésorier de l'association Hamerih qui estime que le cadre environnemental est progressivement réhabilité. Pourtant, l'une des deux niches à ordures non fermées, construites dans le quartier, côtoie un point d'eau situé à proximité de la mosquée qu'on appelle Aïn El Harar. Un point noir et une véritable menace pour la santé publique. Faire revivre Dar Essaqia « Il est nécessaire de réhabiliter la fontaine de Dar Essaqia, un témoin de la mémoire collective », ajoute M. Bouchebah. Située en dessus du quartier sur le territoire du Parc national de Gouraya (PNG), la source de Dar Essaqia n'est plus ce coin de Paradis, dont se souviennent les vieux Béjaouis. Surtout pas avec ces tas de canettes et bouteilles de bière deux fois camionnés à partir d'ici. L'eau coule depuis quelque temps en aval de la fontaine. Sur plainte d'un riverain, le PNG a dû procéder à son drainage. A la moindre précipitation, d'importantes flaques d'eau se constituent sur la route, faute d'avaloirs pouvant aspirer l'eau pluviale. A une encablure d'ici, une autre inondation les jours de pluie. Le pont qui donne sur la route montante vers le Fort Lemercier supporte des tas de terre et autres éboulis et l'accumulation des eaux ont fini par provoquer un affaissement de terrain, nous signale-t-on. « C'est cette eau qui dégringole des hauteurs qui arrive jusqu'à la ville », croient savoir nos deux interlocuteurs. Au cœur de Taâssast, une fuite sur le réseau d'AEP. « L'eau y coule depuis une dizaine de jours », nous dit-on. C'est par ici que passent les fourgons de transport. La rue est un goulot d'étrangement qui a fait voir des vertes et des pas mures, des misères pour les transporteurs et les transportés. Aux disputes de priorités, des fois violentes, s'ajoute une cocasse histoire d'une plaque de sens interdit que les autorités n'arrivaient pas à ériger tant des mains occultes s'amusaient à l'arracher aussitôt élevée. Image caricaturale : le « 18 » et le « 15 » (bus) continuent de s'engouffrer par là en attendant un meilleur plan de circulation. Le passage par l'endroit appelé les Treize martyrs, le nom que porte l'école primaire, est en tout cas obligatoire. L'école surplombant la route est construite à base d'amiante. Un vrai danger pour les écoliers et que l'on a tardé à éradiquer en décidant l'érection d'une nouvelle construction. Le terrain, dégagé suite à la démolition de l'ancienne structure, est aujourd'hui réclamé par l'association pour qu'il accueille un projet « d'utilité publique ». « Un terrain de proximité », propose-t-on. A Taâssast, les besoins en infrastructures sont multiples : centre de soins, poste de police, aire de jeu... On ne réclame pas des platanes ou une horloge urbaine mais de l'éclairage public, un réseau pour la collecte des eaux pluviales, du logement, du gaz de ville et... une virée officielle.