Malgré la levée de l'état d'urgence, Alger reste hermétiquement fermée à toute manifestation publique. Les autorités ont mobilisé une armada de policiers pour empêcher la marche de la CNCD. L'Algérie sort de l'état d'urgence, mais pas sa capitale. Alger est placée sous état de siège. Ses espaces publics demeurent hermétiquement fermés à toute manifestation publique. Surtout si cette manifestation est initiée par l'opposition. La Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), qui a appelé à une marche, hier à Alger, l'a vérifié encore une fois à ses dépens. La décision de lever l'état d'urgence, qui était en vigueur depuis 1992, n'a finalement rien changé. En effet, les autorités ont, pour la troisième fois consécutive, mobilisé une armada de policiers pour empêcher la marche de la CNCD. Le décor était planté dès les premières heures de la matinée. A 8h, la place des Martyrs, d'où devait s'ébranler cette marche en direction de celle du 1er Mai, était déjà quadrillée. Des centaines de policiers, bouclier et matraque à la main, formaient des haies tout autour de la place principale. Les rues et ruelles, menant vers le lieu de départ de la marche, sont toutes bouclées. Au niveau de l'avenue Zighout Youcef qui mène vers la place des Martyrs, les policiers empêchent tout rassemblement de passants. Afin d'éviter l'arrivée massive des manifestants, les transports publics ont été perturbés. Les trains sont restés bloqués au niveau de la gare ferroviaire d'Alger. Tous les moyens sont bons pour tenter de réduire l'ampleur de la mobilisation. Peine perdue. Car plusieurs centaines de manifestants sont parvenus à s'infiltrer entre les mailles de l'impressionnant dispositif sécuritaire et aller au bout de leur action. Vers 10h, soit une heure avant le début de la marche, un premier groupe de manifestants réussit à se constituer à l'entrée de la place des Martyrs. Et les cris de «Djazaïr hourra démocratia (Algérie libre est démocratique)» et «Echaâb yourid isqat ennidham (Le peuple veut faire tomber le système)» fusaient. Sans attendre, des dizaines de policiers accourent pour les encercler. Quelques minutes plus tard, le président du RCD, Saïd Sadi, arrive sur les lieux.Aussitôt, il est assiégé par des policiers qui tentent de l'empêcher d'avancer vers la place des Martyrs. Il est même bousculé et malmené. Entouré d'un groupe de jeunes militants du RCD, Saïd Sadi monte sur le toit de l'un des véhicules de police pour s'adresser aux manifestants. Intrusion des pro-Bouteflika Mais il ne parviendra pas. Des policiers interviennent pour le faire descendre par la force. Il trébuche et s'écroule avant d'être rattrapé par les manifestants. N'ayant pas supporté la pression exécrée par les forces antiémeute, l'avocate et militante du RCD, Fetta Sadet, perd connaissance. Elle est évacuée à l'hôpital, tout comme le député Mohamed Khendak qui a eu un malaise. Arrivé sur place, quelques minutes après le leader du RCD, Me Ali Yahia Abdennour a été vite contraint par la police de descendre l'escalier qui mène vers la pêcherie. «Nous serons toujours dans la rue. Les rassemblements dans des salles fermées sont dépassés. C'est le peuple algérien qui est dans la rue et qui doit désigner ses représentants pour assumer la période de transition (…) quand il y a confusion des pouvoirs, il y a dictature. Nous vivons dans une dictature en Algérie», déclare-t-il. Avec le même manège, les policiers ont également contraint Saïd Sadi à rejoindre Ali Yahia Abdennour. Les manifestants sont ainsi divisés en petits groupes. Entre-temps, quelques dizaines de jeunes, qui se présentaient comme des partisans du président Bouteflika, font leur apparition. Leur présence étant tolérée par la police, ils commencent à narguer les manifestants en balançant, parfois, des obscénités. Mais la police ne bronche pas. «Nous jouerons la durée» Les forces de l'ordre continuent plutôt à charger les manifestants qui demandent le changement et la liberté. La scène a duré jusque vers 13h. «Je crois que certains responsables algériens ont oublié d'engager la guerre contre les ennemis du pays, ils veulent avoir leur grade contre les citoyens. Le régime se trompe. Eux ce sont des prédateurs, nous sommes des militants. Ils jouent l'usure, nous jouerons la durée. Nous serons ici autant de fois qu'il faudra jusqu'à ce que le peuple algérien puisse marcher librement dans son pays et faire en sorte qu'il puisse choisir librement et démocratiquement ses dirigeants», affirme Saïd Sadi qui a été empêché plusieurs fois de monter vers l'avenue Zighout Youcef. Et d'ajouter : «La levée de l'état d'urgence pour monsieur Bouteflika signifie l'état de siège. Monsieur Bouteflika qui prétend avoir 90% des suffrages du peuple algérien, de quoi a-t-il peur ?» Dans un communiqué rendu public dans l'après-midi, la CNCD dénonce le recours du pouvoir à la violence pour mater des manifestations pacifiques, et se dit déterminée à poursuivre son combat et donne rendez-vous aux citoyens samedi prochain.