Un système d'alternance dans la gouvernance à tous les niveaux de la pyramide politique, allant du président de la République au président de l'APC. Il faudrait instituer un système dans lequel aucun gouvernant, à quelque niveau qu'il se trouve, ne puisse faire plus de deux mandats de quatre ans chacun Comme dit l'adage, il n'y a pas de fumée sans feu, pas d'effet sans cause, et les événements récents dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient l'ont démontré. Ce qui a conduit à ces révoltes (ou ces révolutions), ce sont les politiques d'ordre économique et politique menées par les gouvernements de ces pays pendant les décennies qui ont suivi leur indépendance. Ces politiques n'ont pas été salvatrices pour les peuples de ces pays, mais plutôt dévastatrices. Pour l'Algérie, il est encore temps de redresser la situation, pour peu que la volonté des gouvernants soit là. Le présent article a pour objet d'indiquer la direction à prendre par les gouvernants en vue d'instaurer un nouvel ordre économique et politique (NOEP) capable de résister aux vagues du temps et de prévenir, plutôt que d'avoir à guérir en faisant encore plus de mal. Pour que ce NOEP soit possible, 10 commandements politiques et économiques doivent être simultanément mis en œuvre. Dix commandements pour un nouvel ordre politique Les mesures à prendre sur le plan politique sont nombreuses et diverses, mais il y en a dix qui sont essentielles pour ouvrir le chemin du nouvel ordre politique. 1. Un système d'alternance dans la gouvernance à tous les niveaux de la pyramide politique, allant du président de la République au président de l'APC. Il faudrait instituer un système dans lequel aucun gouvernant, à quelque niveau qu'il se trouve, ne puisse faire plus de deux mandats de quatre ans chacun. Ce principe, non seulement évite la «fatigue» ressentie par les gouvernés de voir toujours les mêmes figures sur la scène politique, mais permette d'apporter un nouveau sang ou un nouvel oxygène à la vie politique. 2. Un système électoral transparent qui permette aux électeurs de comprendre l'importance et les règles de l'acte électoral et qui empêche les pressions de toutes sortes qui pourraient influer sur la liberté d'élection. Cela passe par un système dinstruments de mesure et de contrôle des élections par des instances crédibles. 3. Un dialogue permanent entre les gouvernants et les gouvernés. Le système de gouvernance actuel (qui dure depuis l'indépendance) est caractérisé par un parti et un gouvernement édictant les principes et les règles devant être exécutées par les gouvernés. Ces principes et règles sont élaborés en «laboratoire fermé» sans écouter ceux qui sont ensuite censés les respecter et les appliquer. Le résultat, tout le monde le connaît : non-application, ou mauvaise application de ces règles. Il faut donc instituer des passerelles par lesquelles un dialogue entre gouvernants et gouvernés puisse s'établir. 4. Lutte constante contre la corruption qui s'est installée à tous les niveaux de la pyramide sociale. Cette lutte exige deux types de mesures : l'établissement d'instruments de détection et de mesure des sites de corruption et cela à tous les niveaux de la société, et un plan d'information et de formation de la population sur leurs droits et leurs possibilités de recours lorsqu'ils sont confrontés à ce phénomène. 5. Une justice indépendante et «juste» qui applique la loi pour tout le monde, y compris les gouvernants à tous les niveaux et les milieux d'affaires. Cela exige que le principe de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) soit non seulement inscrit dans la Constitution, mais qu'il soit appliqué et respecté sur le terrain social. Ce qui a prévalu jusqu'à maintenant, c'est la loi du poisson (le plus fort mange le plus faible). 6. Liberté d'expression sociale, politique et d'information dans le cadre du respect des droits et de la vie privée des autres. Les citoyens doivent avoir la possibilité de s'exprimer lorsque leurs droits sociaux, politiques et d'information ne sont pas respectés. Si on prend l'exemple de la liberté de la presse, ce qu'on a observé depuis 1988, c'est la multiplication des médias écrits et la monopolisation de l'audio-visuel. Il faut donc encourager la concurrence, notamment dans le domaine télévisuel, pour permettre aux citoyens de comparer entre différentes informations. 7. La liberté de circulation des gens hors des frontières nationales. Cela n'est pas seulement une question de passeports, mais d'accords entre le gouvernement national et les autres gouvernements de la planète pour encourager les échanges culturels et économiques entre les Algériens et les autres citoyens du monde. Cette liberté juridique doit être, bien entendu, accompagnée de la liberté économique, en donnant aux citoyens la capacité financière pour effectuer leurs déplacements et séjours dans de bonnes conditions. 8. Droit de pratiquer la religion de son choix. Chacun sait que la population algérienne est en grande majorité musulmane, mais sait aussi qu'il y a des minorités qui pratiquent d'autres religions. Il faut non seulement inscrire ce principe dans la Constitution, mais le faire respecter sur le terrain. 9. Liberté d'accès aux nouveaux moyens d'information et de communication (Internet, Facebook, Twitter, etc.) dans le cadre du respect des droits et de la vie privée des autres. Cette liberté assure une information constante sur la situation à l'intérieur et à l'extérioeur des frontières et constitue un moyen de contrôle non négligeable sur les activités des gouvernants à tous les niveaux, notamment sur le phénomène de la corruption. 10. Suppression de l'état d'urgence instauré depuis 1992. Beaucoup vont se demander pourquoi j'ai placé le commandement à la fin de la liste. La réponse est que ce commandement est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour garantir les 9 autres commandements ci-dessus énoncés. En effet, on peut mettre fin à l'état d'urgence sans mettre fin aux problèmes évoqués. La fin de l'état d'urgence n'est pas une «fin» en soi, mais un des moyens du NOEP. Dix commandements du nouvel ordre économique Ainsi qu'il a déjà été dit, il ne peut pas y avoir de nouvel ordre politique et légal sans un nouvel ordre économique. Et comme pour le nouvel ordre politique, les conditions d'un nouvel ordre économique sont nombreuses et complexes, mais il est possible d'en recenser dix qui peuvent, comme pour le nouvel ordre politique, ouvrir le chemin du nouvel ordre économique. 1. Un plan Marshall pour la création d'emplois. Noter que je ne parle pas de lutte contre le chômage, mais de création d'emplois, car la solution radicale pour lutter contre le chômage aujourd'hui et celui de demain est de créer des emplois, ce qui veut dire créer de nouvelles entreprises et faire l'expansion des entreprises existantes. Cela signifie aussi qu'il faut encourager les investissements publics et privés aux niveaux national et international dans les secteurs qui étaient jusque-là négligés : agriculture, petite et moyenne transformation, tourisme, TIC, etc. 2. Lutte permanente contre l'érosion du pouvoir d'achat de la population. Il faut tout de suite dire que la solution à ce problème ne réside pas, comme le pensent beaucoup, dans l'augmentation des salaires, mais plutôt dans la stabilisation des prix par une régulation intelligente du marché, c'est-à-dire la lutte contre les monopoles et la stimulation de la concurrence, seule garantie d'un prix de marché raisonnable. Le système actuel de «laisser-faire» a conduit les gros intermédiaires à dicter des prix qui sont loin du prix du marché. 3. Un autre plan Marshall en faveur des jeunes (qui constituent 75% de la population) qui encouragerait les jeunes à participer au développement économique et à la responsabilité politique. Certains pensent que les jeunes ne peuvent pas exercer le pouvoir parce qu'ils n'ont pas d'expérience. Ce n'est pas vrai si on voit «l'effet Obama» aux Etats-Unis et le rôle joué par les jeunes dans les révolutions récentes dans les pays voisins et du Moyen-Orient, révolutions qui ont montré que les jeunes peuvent utiliser plus efficacement les nouveaux moyens d'information que les anciennes générations (ce que j'appelle les «révolutions-clicks» ou «révolution.dot. com». 4. La participation des femmes, qui constituent plus de la moitié de la population, au développement économique et à l'exercice du pouvoir. Ici aussi, l'argument qui a été avancé (en silence bien sûr) est que les femmes n'ont pas la capacité d'exercer des responsabilités économiques et les responsabilités politiques. Pour s'en convaincre, il faut retourner à l'histoire de l'indépendance et au rôle joué par les femmes dans la naissance de la nation algérienne. Il est donc temps que les femmes occupent dans les instances économiques et politiques la place qu'elles occupent dans la population. 5. Appliquer le principe selon lequel nos universités et grandes écoles forment ce dont l'économie a besoin. La situation jusqu'à ce jour est que nos universités forment des quantités et des quantités d'étudiants dans les filières des lettres, langues, histoire, etc. et l'économie ne peut absorber qu'une infime partie d'entre eux. D'un autre côté, il y a des filières dont l'économie a crucialement besoin (ingénieurs, architectes, producteurs, marketers, managers, etc.) et qui ne sont pas formés ou formés en quantité limitée. 6. Passer d'une économie rentière basée à 95% sur l'exportation du pétrole et du gaz à une économie diversifiée qui réduirait grandement la «dictature» exercée par les hydrocarbures et intégrerait des secteurs comme l'agriculture, la petite et moyenne transformation, le tourisme et les nouvelles technologies de la communication. Dans cette transition, l'économie rentière pourrait jouer un rôle de financement de ces nouveaux secteurs. Cela passe aussi par la stimulation des investissements publics et privés, nationaux et extérieurs. 7. Un plan intégrant graduellement le secteur informel dans l'économie formelle. La politique jusqu'à maintenant a été de réprimer le secteur informel, essentiellement parce qu'il se situe en dehors de la sphère fiscale, sans chercher à connaître les raisons qui ont donné naissance à ce phénomène (le chômage, les pénuries, les prix, etc.) Au lieu d'essayer à tout prix d'éliminer ce secteur, il faut l'intégrer progressivement dans l'économie formelle, tout en s'attaquant aux racines du mal. 8. Réformer le système de santé qui a connu une dégradation croissante depuis les années 80. Cette réforme exige l'élaboration d'un plan ayant pour objectifs en premier de repenser le secteur public de santé (hôpitaux, polycliniques, centres de santé, etc. ) en mettant l'accent sur les services et la formation du personnel paramédical et en second d'encourager la création de petites et moyennes unités privées de santé (cabinets, cliniques, etc). Cette concurrence entre le secteur privé et le secteur public ne peut qu'améliorer les services de santé et satisfaire les besoins quantitatifs et qualitatifs de plus en plus grands de la population en matière de santé. 9.Un plan de loisirs et sports pour les jeunes. Un jeune (qu'il travaille ou qu'il soit chômeur) a aussi besoin de faire du sport et de se distraire. Aujourd'hui, nos jeunes n'ont le choix qu'entre la harga, la drogue, et autres activités néfastes. Il faut donc un plan qui prévoit la construction d'infrastructures sportives (tous sports confondus et non pas seulement le football), et culturelles (lecture, Internet, théatre, etc. ) qui occuperaient nos jeunes et les formeraient physiquement et culturellement. 10. Repenser la prise en charge des personnes âgées (seniors). Une personne âgée qui a travaillé pendant plusieurs décennies a le droit à un traitement économique et financier raisonnable (une retraite juste, un traitement médical satisfaisant, etc.) et à un traitement social et moral digne (ne plus dépendre des autres, y compris de ses enfants). On ne crée pas de la solidarité familiale par décret, comme a voulu le faire le gouvernement ces derniers mois. Il faut plutôt créer les conditions et construire les facilités de prise en charge des seniors pour qu'ils terminent leur vie dans la dignité. Conclusion : Comme nous l'avons dit ci-dessus, les commandements évoqués sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes. Ils permettent d'ouvrir la voie à un nouvel ordre économique et politique capable d'assurer la stabilité politique et un développement économique durable. Bien entendu, chacun de ces commandements doit être pris à la fois en soi et en relation avec les autres. Par ailleurs, ces commandements doivent etre mis en chantier simultanément. En effet, penser, comme certains le font, que la politique vient d'abord (l'école de la dominance du politique) ou que l'économie vient avant (l'école de la dominance de l'économique) ne résout le problème qu'à moitié, c'est-à-dire pas du tout. La question n'est donc pas «the egg or the chicken) – l'œuf ou la poule — mais plutôt «the egg and the chicken» (les deux à la fois). Cela signifie que, pour que ce nouvel ordre économique et politique puisse être mis en place, il faut que les «politiques» et les «économistes» se mettent à table et tracent ensemble la carte de l'Algérie de demain et non plus séparément comme ils l'ont fait jusqu'à maintenant.