Les familles des marins algériens du MV Blida ne savent plus à quel saint se vouer. Elles ont reçu, dans la matinée d'hier, un appel, aussi rassurant qu'inquiétant, des otages, dont le vraquier avait été détourné par des pirates somaliens le 1er janvier dernier. «Ils ne vont pas bien et survivent dans des conditions précaires. Cela fait une dizaine de jours qu'ils sont plongés dans le noir, qu'ils ont faim et soif. Mon mari va tellement mal que je n'ai pas reconnu sa voix», raconte, dans un râle, Mme Aït Ramdane, épouse de l'un de ces marins. L'otage, âgé de 53 ans, n'a d'ailleurs pas caché ses craintes à sa femme. «Il a accusé l'Etat de les avoir abandonnés. Il m'a dit que personne ne veut payer la rançon demandée, et depuis, ils vivent le calvaire. Les pirates veulent faire pression en leur faisant subir d'innombrables misères», raconte Mme Aït Ramdane. Toutes les familles, extrêmement angoissées pour leur mari, père, fils ou frère, ont eu le droit au même cri de détresse. «Il était près de 9h, quand mon téléphone a sonné. C'était un numéro étranger», raconte, sa voix tremblant d'émotion et d'inquiétude, l'épouse de Mohamed Achour, 53 ans, l'un des captifs. Ce coup de fil est le premier contact direct que certaines familles ont avec les otages. Mme Achour n'a pas parlé à son époux, marin depuis plus de 32 ans, depuis le 31 décembre 2010, veille de son enlèvement. «Il a commencé par me demander des nouvelles de nos deux enfants, si tout le monde allait bien, si tout se passait bien», raconte-t-elle. Puis, en abordant sa situation, l'otage a dit à sa femme : «Nous sommes entre les mains de Dieu.» Il ne cache toutefois pas sa colère lorsque son épouse lui résume les réactions et déclarations suscitées par leur enlèvement. «Quand je lui ai dit que les pirates et IBC étaient toujours en négociations, il s'est écrié que ce n'était pas vrai. Que personne n'a cherché après eux, qu'il n'y avait aucun contact établi entre les ravisseurs et les responsables. Qu'ils les ont tous oubliés», relate, désorientée, Mme Achour. Le marin exhorte, supplie même son épouse de ne pas compter sur les autorités ou sur l'armateur ou l'affréteur navigant. «Il m'a dit que c'était à nous de faire quelque chose, de faire notre possible pour faire pression afin d'aboutir à leur libération», poursuit-elle. Une fois la communication coupée, Mme Achour rappelle immédiatement au numéro affiché. Quand elle lui demande s'il est bien traité, s'il mange à sa faim, son mari répond par l'affirmative. «Mais il avait une voix étrange. Je soupçonne que l'un des pirates se trouvait à ses côtés», ajoute-t-elle, un trémolo dans la voix. «Il a éclaté en sanglots. Depuis toutes ces années que nous sommes mariés, je ne l'ai jamais, au grand jamais, vu pleurer», souffle-t-elle, ajoutant : «Là, j'ai tout compris.» «Pas lieu de céder à la panique» Le frère de Mohamed Achour, Abdelkader, se dit d'ailleurs très anxieux quant à l'état de santé et de survie des 17 marins. «Ils ne sont plus, pour la plupart, très jeunes. Certains souffrent de maladies chroniques», affirme-t-il. Et celui-ci de s'indigner de la gestion «chaotique» dont ont fait montre les principales parties en charge du dossier. «La cellule de ‘suivi' ne nous a jamais contactés depuis le jour de sa mise en place. D'ailleurs, elle n'existe même plus, et le numéro attribué ne répond pas», explique-t-il. Idem pour IBC, «qui n'a communiqué avec les familles qu'une seule et unique fois, le jour du détournement», affirme Abdelkader. En désespoir de cause, les familles sollicitent l'intervention du président de la République, «le seul qui puisse faire en sorte que ces enfants de l'Algérie, ces pères de famille, ne subissent plus le calvaire qui est le leur», interpellent-elles. Pourtant, selon le ministère des Affaires étrangères, le dossier n'est pas du ressort du gouvernement. «Ce sont aux affréteurs, aux assureurs, aux avocats intermédiaires de négocier, d'intervenir ou encore de satisfaire les revendications des ravisseurs. Nous ne pouvons pas plaider pour le non-paiement des rançons d'un côté, et le faire pour les marins», explique-t-on du côté des Affaires étrangères. Ainsi, ce nouveau contact avec les familles «n'est autre que la technique des preneurs d'otages». «Un premier contact, puis silence radio. Puis, un deuxième contact, où les éléments de langage sont alarmants. Il ne faut donc pas prendre cela au premier degré», confie une source au sein du ministère des Affaires étrangères, qui a requis l'anonymat. Ce que soutient aussi l'IBC (International Bulk Carriers), une filiale de CNAN Group. Son directeur général, Nasser Mansouri, affirme qu'il n'y a pas lieu de céder à la panique. «Les familles doivent nous faire confiance quant à l'aboutissement des négociations. Ces appels téléphoniques font d'ailleurs partis des manœuvres des preneurs d'otages afin de faire pression», rassure-t-il. Ce qui ne convient pas les familles des otages. Elles escomptent d'ailleurs organiser, ce matin, une rencontre au siège d'IBC, afin que ce dossier soit enfin pris en charge «sérieusement».