L'Algérie vient de débloquer 200 tonnes d'aide destinées aux réfugiés ayant afflué vers la Tunisie où le Croissant-Rouge algérien (CRA) dressera un camp pour la prise en charge de 10 000 personnes. C'est ce qu'a affirmé dans cet entretien, Dr Hadj Hamou Benzeguir, président du CRA, tout en expliquant la situation inédite à laquelle sont confrontées les organismes humanitaires. - L'Algérie vient de décider l'envoi d'une aide humanitaire à la Tunisie afin de faire face au flux des populations fuyant la Libye. En quoi consiste cette aide ? Nous étions prêts dès le début de la crise, du fait que nous avons d'excellentes relations avec nos frères du Croissant-Rouge tunisien, avec lesquels nous suivons de près la situation. Il y a eu même l'idée d'assurer le transfert des réfugiés des pays limitrophes afin de réduire la pression sur les Tunisiens. Cela étant, l'Algérie a proposé l'installation de camps pour la prise en charge de 10 000 personnes, avec une quantité de 200 tonnes d'aide multiple. Une équipe de 25 personnes, dont un médecin, un psychologue, un infirmier, des secouristes et des logisticiens, devra prendre ce soir (hier ndlr) ses quartiers, dès que les Tunisiens nous désigne le camp. Ce sont là les premières intentions, pour une durée allant de 20 à 30 jours et qui peut être prolongée en cas de nécessité. Nous sommes en contact permanent avec le directeur de la zone Moyen-Orient, Afrique du Nord, de la FICCR (Fédération internationale de la Croix et du Croissant-Rouge), qui intervient en pareille situation. La CICR, quant à elle, n'intervient que dans des situations de conflits armés, pour rappeler aux Etats leur respect des conventions internationales. Comme c'est le cas à l'intérieur de la Libye. Etant donné que le Croissant tunisien fait partie de la FICCR, c'est à lui que revient la décision de nous affecter, dans un premier temps, un camp sur place au niveau du poste frontalier avec la Libye où affluent quotidiennement 12 000 à 14 000 personnes. - Avez-vous déjà mobilisé les moyens ? L'Etat a proposé une aide pour la prise en charge de 10 000 personnes avec tous les moyens nécessaires et c'est à nous que revient la gestion de cette opération. L'Algérie va s'inscrire dans cette action sous le chapitre appelé Société nationale participative (PNS) et le Croissant-Rouge tunisien devient SNA, la société qui reçoit l'aide, selon le jargon humanitaire. Nos comités au niveau de nombreuses wilayas, notamment celles de l'est du pays, étaient déjà préparés à cette mission. Nous attendions juste le coup de starter. Nous cumulons une grande expérience sur le terrain. Nous serons sur place au plus tard dans les prochaines heures. Il y a déjà des équipes qui partent ce soir (ndlr hier). - L'Algérie accueille des groupes de réfugiés qui ont traversé les postes frontaliers de Debdeb et de Tinalkon à Djanet, wilaya d'Illizi. Comment s'organise leur prise en charge ? Devra-t-on s'attendre à un flux massif ? Il faut dire que nous sommes loin de ce qui se passe en Tunisie. Les postes frontaliers se trouvent beaucoup plus vers le Sud, où il y a surtout les champs pétroliers. Ce sont les employés de ces entreprises qui ont fui la Libye. Pour l'instant, les chiffres ne sont pas arrêtés parce qu'ils évoluent régulièrement, à partir de la Libye. Jusqu'à hier, ils étaient près de 432 ressortissants étrangers, dont 37 Egyptiens. Pour ces derniers, le premier secrétaire de l'ambassade d'Egypte est déjà sur place pour voir comment procéder à leur rapatriement. Durant la nuit de mardi à mercredi, le poste de Debdeb a accueilli 30 Algériens, 101 Libyens, 26 Egyptiens, 4 Pakistanais, 2 Marocains et 1 Syrien. Sur les 432 réfugiés, il y a des Vietnamiens, des Mauritaniens, des Pakistanais, des Indous. Peu nombreux, les Algériens ont bénéficié de titres de voyage pour rentrer chez eux. Ils ne sont pas restés sur place. Il y a eu aussi quelques Européens, pris en charge directement par leurs ambassades, qui ont mis les moyens pour les rapatrier à partir de Djanet et d'In Aménas. Nous avons sur place des campements pour la prise en charge, avec l'aide de l'armée qui constitue le fer de lance de cette opération, ainsi que Sonatrach, avec les moyens de ses bases, de toutes les personnes qui franchissent la frontière. Les Mauritaniens par exemple, en majorité rentrés par le poste de Tinalkor, à Djanet, sont en train d'être rapatriés par le Croissant-Rouge. Jusqu'à aujourd'hui (ndlr hier) il y a eu trois groupes pris en charge. Le premier est composé de 56 personnes, puis un autre de 36 et un troisième de 37, dont 9 bébés et un enfant. Nous avons pris sur nous d'assurer leur transport aérien, jusqu'à Alger, pour les embarquer à bord du vol hebdomadaire (d'aujourd'hui) à destination de Nouakchott. Pour les autres réfugiés, tout dépendra des pourparlers avec leurs représentations diplomatiques. Dans le cas, où celles-ci ne veulent ou n'ont pas les moyens d'assurer leur transfert, c'est à l'Algérie de le faire. Néanmoins, il est important de préciser qu'une fois ces réfugiés sur le sol algérien, c'est l'action humanitaire qui prime. Leur rapatriement ne peut se faire que s'ils le désirent. Pour l'instant, nous n'avons pas été confrontés à un quelconque refus. La situation au niveau des deux postes frontaliers est vraiment maîtrisée. Les moyens suffisent largement et nous ne pensons pas que le nombre de réfugiés soit plus important dans les jours à venir. Ce qui n'est pas le cas pour la Tunisie où la situation est chaotique. C'est pour cela qu'un appel à l'aide a été lancé à la communauté internationale. - Justement, qu'en est-il de la situation en Libye ? La situation en Libye est inédite dans l'histoire des mouvements de la population et du monde humanitaire. Il faut savoir que la Libye a été un grand demandeur de main-d'œuvre étrangère. Normal, parce que le principe sur lequel repose le système est «la lil oudjara naâm lichouraka (non aux employés oui aux associés)». En clair, un Libyen ne fait pas travailler un autre Libyen, mais s'associe avec lui, et fait appel à la main-d'œuvre étrangère. D'ailleurs, je pense que c'est le pays où il y a le plus d'expatriés. Rien que les Egyptiens, ils sont plus de 1,5 million. Donc, dès le déclenchement des troubles, ce sont les expatriés qui ont fui le pays. Ils ne sont pas considérés comme des réfugiés et de ce fait, ils ne relèvent pas du mandat du Haut-Commissariat des réfugiés (HCR), mais de celui de l'Organisation internationale des migrants (OIM). Les réfugiés, faut-il le préciser, sont ceux qui fuient leur pays à la suite d'une crise humanitaire. C'est vraiment une situation inédite à laquelle la communauté internationale n'a jamais fait face. Une nouvelle expérience qui va permettre la mise en place de procédures instituées en 2007 avec les Etats parties aux conventions de Genève pour leur permettre de mieux se comporter en cas de catastrophe dans leurs pays.