Le soulèvement de la jeunesse tunisienne, contre le régime dictatorial de Ben Ali, a été le détonateur du déclenchement d'un mouvement de contestation et de revendication sans précédent dans l'histoire moderne du monde arabe. L'issue heureuse de celui engagé par son homologue égyptienne, acclamé par tous les peuples de la région et dans le monde, nous conforte dans notre certitude qu'il s'agit bien là, au regard de se qui se passe au Yémen et en Libye, d'un véritable mouvement de libération qui fait tache d'huile. Le plus frappant, dans le bras de fer opposant, surtout, la jeunesse égyptienne au régime de Moubarak, le plus impressionnant, aux yeux de l'opinion publique générale, c'est le haut niveau intellectuel affiché par cette jeunesse, la perspicacité et l'intelligence relevées dans la stratégie élaborée et les tactiques utilisées, la maîtrise démontrée dans l'utilisation des technologies modernes de la communication — un facteur déterminant dans l'issue victorieuse de l'insurrection — les capacités relevées dans la gestion, aux plans organisationnel et fonctionnel, des manifestations pendant toute la durée de la contestation. Tout indique que ce soulèvement n'est pas fortuit, qu'il a été l'objet d'une longue période de réflexion et de préparation, n'attendant pour sa mise en branle que l'opportunité du soulèvement de son homologue tunisienne. La portée politique de cette audacieuse entreprise, la hauteur de vue idéologique et la profondeur sociétale du discours énoncé par les responsables de ce prodigieux mouvement émancipateur, seront sûrement repris et amplifiés par toutes les jeunesses des pays du Moyen-Orient et du Maghreb, là, notamment, où la gouvernance est restée trop longtemps sourde aux aspirations matérielles et immatérielles de la population. Si le chômage, la flambée des prix et la malvie nous donnent une première explication et justification à l'émergence de cette lame de fond qui submerge certains régimes du monde arabe, la soif de liberté, le besoin de démocratie et le développement sociétal en sont les véritables moteurs qui rythment son déferlement. Qualifiée hâtivement de «Révolution du jasmin», la révolte de la jeunesse tunisienne, suivie de celle égyptienne, ont permis, il est vrai, aux sociétés de ces pays de sortir victorieuses de cette bataille de libération du joug de l'oppression. Elles vont encourager, aussi, dans les prochaines semaines, toutes les autres jeunesses de la région à se mobiliser et à agir pour récupérer leur souveraineté afin d'user de leurs droits de décider librement, non seulement de leur devenir politique, mais également d'opter pour le modèle de développement économique et social qui réponde le mieux à leurs attentes. Cependant, au stade actuel d'évolution des mouvements insurrectionnels des jeunesses tunisienne et égyptienne, il n'est pas opportun, pour autant, de se laisser griser, outre mesure, par cette première victoire contre les gouvernants du moment, car cette révolte n'est, à notre sens, que le point de départ de la longue lutte que celles-ci doivent mener pour activer le véritable processus révolutionnaire de la renaissance arabe et entreprendre la refondation de la République attendue par les peuples, celle reposant sur l'instauration d'un système politique où le citoyen retrouverait toute la plénitude de sa souveraineté à travers l'expression et l'usage de son droit de participation, tout d'abord, à l'élaboration du projet de société voulu et l'exercice, ensuite, de son pouvoir de décision au sein de toutes les instances de l'édifice institutionnel qui en est sous-jacent. Pour le moment, cette explosion populaire, de par la spontanéité de son irruption même, reste, avant tout, un mouvement insurrectionnel contre des régimes dont l'autoritarisme a sécrété une gouvernance politique, économique et sociale des plus négatives pour le pays et la société. La fermeture du champ politique, le non-respect des libertés individuelles et des droits de l'homme, l'accentuation des inégalités et des injustices sociales, l'institutionnalisation de la corruption, des passe-droits et la gabegie comme mode de gestion, toutes ces dérives des pouvoirs portaient déjà, en elles-mêmes, les germes générateurs de cette déflagration. L'ampleur de la contestation d'une jeunesse excédée, à l'extrême, par les méfaits de dictatures inqualifiables, traduit, néanmoins, la prise de conscience collective d'une société déterminée à mener à son terme son combat émancipateur et à codifier, dans les textes fondamentaux, qu'elle aura à élaborer, les principes, les valeurs et les idéaux caractérisant la nouvelle République qui régira sa destinée, seul fruit de son seul choix. Cette étape de reconquête de la souveraineté accomplie, une autre, encore plus ardue, attend cette jeunesse sur la voie de la révolution. Car, par-delà les répercussions, des victoires acquises aujourd'hui, sur les mouvements de contestation et de revendication en gestation dans les autres pays de la région, et la portée idéologique et politique, des discours énoncés, sur la renaissance de la pensée arabe, le processus d'évolution de cet élan insurrectionnel ne s'élèvera au stade de la révolution que s'il conduit à la sauvegarde et à la consolidation, en premier lieu, de l'unicité de cette souveraineté arrachée de haute lutte, que s'il conforte, en second lieu, cette unicité par sa légalisation, en termes clairs et précis, dans la Constitution, et surtout, sa traduction effective dans les modes structurel et fonctionnel de l'organisation démocratique de la société envisagée afin d'éviter les pièges de sa division par les luttes stériles du passé. Celles inhérentes aux antagonismes générés par les tenants des idéologies dominantes qui ont consacré, comme nous le savons, son usurpation, sa confiscation et son émiettement par les systèmes de classes s'y rapportant. L'histoire de la pratique de la souveraineté du peuple à travers les modèles de Républiques et de systèmes de démocratie issus des Révolutions de 1789 et de 1917 est édifiante, en cela, au regard des méfaits induits par l'effritement et l' inefficience de cette souveraineté dans l'exercice, par le citoyen, de son droit de choisir et de son pouvoir de décider. Partant, les jeunesses tunisienne et égyptienne devraient donc tirer les leçons de ce constat négatif inhérent à l'antagonisme idéologique cultivé par les doctrines en vigueur. Une telle situation anachronique ne peut que les interpeller et les inciter, par ailleurs, à prêter une attention particulière aux discours développés par les mouvements contestataires et revendicatifs des sociétés occidentales — auxquelles nous nous référons et que nous avons tendance à en copier mécaniquement le modèle républicain et le système de démocratie représentative — et à tenir compte des débats suscités, outre-mer, par les courants souverainiste, altermondialiste, écologiste, etc. autour de ces sujets déterminants pour la formulation future de la nouvelle République souhaitée par les peuples de la région. Car les discours développés et les débats suscités, par tous ces mouvements contestataires et revendicatifs de la société occidentale, se rapportant à la problématique de la démocratie sont, en effet, utiles à plus d'un titre pour la jeunesse arabe. Non seulement ils lui balisent le champ d'investigation, mais ils lui indiquent et lui précisent, également, les axes de réflexion sur lesquels doivent plancher son élite politique et intellectuelle avant toute tentative, de sa part, d'élaboration des textes constitutifs de la nouvelle République qui sied au citoyen du troisième millénaire, celui qui circule sur les autoroutes de la communication, de l'information et du savoir.