Le nombre de patients atteints d'insuffisance rénale chronique continue d'augmenter en Algérie. De 10 malades en1977 à 2000 en 1997 et à 13 000 en 2011, l'incidence de la maladie ne cesse de croître. Face aux multiples problèmes que pose cette maladie, les médecins et les responsables de santé publique sont mobilisés depuis 1977. Le premier défi qui était à relever dès 1977 concernait le dépistage et le diagnostic précoce des maladies susceptibles d'induire une insuffisance rénale. Le corps médical et la population ont été régulièrement informés des précautions à prendre en cas de toxicité rénale de certains médicaments, surtout les anti-inflammatoires non stéroïdiens et de certains examens radiologiques pratiqués sans préparation adéquate préalable. Il en est de même des risques des suites d'interventions chirurgicales mal surveillées en post-opératoire. Les médecins et les citoyens savent aussi que l'hypertension artérielle et le diabète conduisent très souvent à l'insuffisance rénale. D'autres maladies, comme les néphropathies glomérulaires, les lithiases rénales, les infections urinaires, les maladies héréditaires, etc. sont bien connues des néphrologues pour leur évolution possible vers l'insuffisance rénale chronique. Les mesures de prévention prises depuis plus de trente ans doivent être soutenues par un programme pédagogique de néphrologie très large au profit des étudiants de la faculté de médecine, des écoles paramédicales, des médecins généralistes. Cela doit être aussi le cas pour les autres spécialistes dans le cadre de la formation médicale continue. La population devrait continuer à recevoir régulièrement des informations par le corps médical et les autorités de santé. A cet effet, les médias ont un très grand rôle à jouer. Le travail d'éducation de la population constitue donc la pierre angulaire du premier défi à relever contre cette maladie. En effet, au moins un malade sur trois actuellement dialysés aurait pu échapper à son sort. A ce titre, il est utile de rappeler que tous les centres d'hémodialyse publics ou privés actuels ou futurs doivent être concernés par le dépistage précoce des maladies rénales, dans le cas contraire, pourquoi continuer à former des spécialistes qui ne feraient que de l'hémodialyse, celle-ci représentant l'échec de la prévention ? Le second défi à relever est d'ordre démographique et économique. La maladie touche les citoyens, quel que soit leur âge, aussi bien des enfants, des jeunes et des personnes âgées.Les pouvoirs publics font face à cette problématique pour soigner tout le monde de la même manière. Il est cependant légitime de souligner que la néphrologie pédiatrique et du sujet âgé n'existent pas en Algérie. Des efforts doivent être consentis pour aider ces tranches de la population. Les jeunes adultes sont en principe tous pris en charge. En revanche, il n'existe pas de registre national ou d'observatoire de la maladie. Ainsi, ni l'incidence ni la prévalence de la maladie à son stade de début ou avancé ne sont connues. Les 13 000 malades actuellement dialysés, à travers certains éléments d'information non totalement vérifiés, auraient un âge moyen de 40 ans. Près de la moitié des patients, soit 6500, serait prise en charge dans le secteur privé avec un coût moyen par séance d'hémodialyse très inférieur à celui du coût moyen dans le secteur public. Ces éléments devraient inciter les responsables à mettre en œuvre un projet de prise en charge coordonné afin que tous les patients reçoivent un traitement adéquat à coût identique. Par ailleurs, la comparaison avec l'âge moyen des dialysés des pays européens montre qu'il y a une différence de 30 ans puisque l'âge moyen dans ces pays est de 70 ans. Ces patients ont déjà travaillé pendant trente à quarante ans et ont contribué par leurs cotisations à l'effort de solidarité nationale dans leur pays où le produit intérieur brut est dix fois supérieur au nôtre. La transplantation dans ces pays concerne 20 à 30% des malades. En Algérie, l'âge moyen étant de 40 ans, les jeunes patients n'ont pas eu le temps nécessaire de travailler pour générer de la richesse à eux-mêmes et au pays. Ainsi, la société se trouve confrontée à ce second défi de la maladie qui est démographique et économique. Le troisième défi lancé par cette affection est d'ordre socioculturel. L'idée de solidarité et de générosité intrafamiliale paraissait facile à concevoir. Aussi, le projet de transplantation rénale lancé au milieu des années 1980 était en très grande partie bâti sur cette donnée qui semblait très naturelle. Malheureusement, les faits ont prouvé que nos connaissances dans le domaine des sciences humaines et notre sentiment concernant le jugement des valeurs de la société n'étaient pas dans la vérité. Cela a été confirmé par le nombre réduit de donneurs vivants pour la greffe d'un parent du premier degré. Moins de 700 greffes rénales ont été effectuées dans le pays depuis 1986 sur les 13 000 patients dialysés, soit moins de 1%. Ce chiffre inférieur à 1% est confirmé en 2009, en 2010 et le sera en 2011 et 2012 si des mesures importantes ne venaient pas à être envisagées. Cependant, des centaines de nouveaux cas vont apparaître tous les ans. Les prémices d'un tel désenchantement en matière de transplantation rénale ont été signalés dans une étude faite entre 1983 et 1985 (**). Nous avions déjà senti un conflit du mythe et de la réalité. Cette dimension philosophique nous échappait. Que faire devant ce grand défi de la maladie qui est en relation avec les valeurs de générosité et de solidarité de toute une société. Il ne sera pas possible d'imposer par des lois le don d'organe vivant ou sur corps décédé à des citoyens s'ils ne se sentent pas directement concernés par le programme de transplantation rénale. Il faudrait rendre à la société ce projet. C'est à elle de décider de ce qu'elle voudra en faire. Il est souhaitable de l'accompagner dans la réflexion et de lui permettre de tisser des liens de confiance avec les soignants et les différents responsables. Il est cependant nécessaire de lui donner les moyens de construire le cadre de sa réflexion. Tous ces défis de la maladie vis-à-vis de la société sont majeurs et des grands chantiers de travail technique et humains sont ouverts pour le corps médical, les autorités, les patients et la société. Note : «Prospectives de la transplantation rénale en Algérie : A propos d'une étude prospective effectuée au CHU Messous entre 1983 et 1985» : Conférence internationale sur la transplantation rénale en Algérie 13 avril 1985 : H. Salah, S. Bessalem, N. Hamari, R. Zidani, M. Khodjabach, M. Nemmar, S. Vengadabady.