L'insémination artificielle des bovins demeure un mystère chez nous, parce que rien ou presque n'a été entrepris pour faire connaître ses bienfaits aux éleveurs. Lancée timidement au milieu des années 1980, puis prise en charge convenablement par le Centre national de l'insémination artificielle et de l'amélioration génétique (CNIAG), cette technique est maintenant bien maîtrisée. En effet, de la récolte de la semence à sa mise dans des paillettes prêtes à l'emploi, tout se fait à Baba Ali, selon les normes internationales. Seulement voila, le problème ne se pose pas au niveau des laboratoires, mais ailleurs, plus précisément dans les élevages disséminés aux quatre coins du pays. Après leur formation à Bougara et leur dotation en matériel et en semence, importée à l'époque, les premiers inséminateurs ont vite fait de comprendre que leur tâche ne sera pas aisée et qu'il faudra du temps, beaucoup de temps, pour espérer voir un jour l'insémination artificielle développée en Algérie. Malgré la joie procurée par la vue des premiers veaux naître suite à l'acte qu'il avaient accompli neufs mois auparavant, les pionniers de l'insémination artificielle en Algérie ont commencé à jeter l'éponge, l'un après l'autre, découragés par des conditions de travail lamentables et le salaire de misère qui va avec, sans compter la charrue qu'ils ont trouvé avant les bœufs. Au fil du temps, d'autres inséminateurs ont été formés, dotés de matériel et de semence, produite localement cette fois-ci, et lancés sur le terrain avec pour ambition d'améliorer génétiquement le cheptel bovin et, par ricochet, augmenter la production laitière. Mais vouloir ne veut pas dire toujours pouvoir. La preuve et pour ne donner qu'un seul exemple concret, plus de deux décennies après son lancement, l'insémination artificielle n'est pratiquée que cinq fois, oui cinq fois, en moyenne par jour à Bouira, une wilaya dite pourtant à vocation agricole. A qui la faute alors ? Sans vouloir jeter la pierre à personne, il est facile de situer les responsabilités. D'abord et avant tout, si la politique de l'insémination artificielle se pense et se conçoit dans des bureaux à Alger, sa pratique, en revanche, demeurera toujours dans des étables, au milieu des bouses, parfois dans des zones rurales enclavées, avec tout ce que cela comporte comme difficultés d'accéder à ces lieux et, surtout, à convaincre l'éleveur du bien fondé de cette technique qu'il voit toujours d'un mauvais œil. Ensuite, comme dans la presse, le manque de formation dans l'agriculture pose un réel problème et maintient le secteur dans un sous-développement chronique. Ainsi, après plusieurs années dans le métier, beaucoup d'éleveurs ne savent toujours pas ce que sont une ration alimentaire d'une vache laitière, les signes extérieurs des chaleurs, l'insémination artificielle, etc. Résultats des courses, on trouve chez nous des vaches importées qui produisent moins de 10 litres de lait par jour. Enfin, l'Etat a beaucoup investi dans la vulgarisation agricole, mais force est de constater que les vulgarisateurs (pas tous heureusement) ont tout fait, sauf vulgariser. Certains d'entre eux, que Dieu leur pardonne, sont partis à la retraite, sans jamais mettre les pieds dans les communes de leur affectation. Ainsi donc, nous sommes encore loin, au sens propre et figuré, des bergers français qui, pour pouvoir permettre la reprise de leur troupeau par un descendant ou autre, doivent s'assurer que le repreneur a suivi une formation de deux années dans un centre agréé. A croire que tout est difficile pour nous, y compris l'insémination artificielle des vaches. Pourtant, de l'avis de tous, cette technique, qui a donné ses fruits sous d'autres cieux, pourrait très bien réussir ici, pour peu qu'on y mette les moyens. Premièrement, ne peut pas être éleveur de bovins qui veut. Il faut exiger un minimum de savoir-faire dans le domaine. Deuxièmement, comme on a pu développer plusieurs techniques ces dernières années, dont notamment les cultures sous serres ; on pourra aussi faire admettre l'insémination artificielle aux éleveurs qui ne cherchent, tout compte fait, que l'amélioration de leur production. Mais pour cela, il ne faut pas user de slogans seulement. Il faut également envoyer des gens sur le terrain parler aux éleveurs en se mettant à leur niveau, pas en adoptant un look et une attitude à faire dresser les cheveux des paysans. Le langage avec les fellahs doit aussi être simple, rassurant et convaincant, pas arrogant, suffisant et plein de mots techniques en français, comme le font certains à la radio. Les vétérinaires, qui ne sont pas tous au dessus de tout reproche, devraient eux aussi se mettre de la partie en parlant aux éleveurs de cette technique primordiale pour le cheptel bovin. Troisièmement, qu'on le veuille ou non, les élevages de trois, quatre ou cinq vaches posent plus de problèmes qu'ils n'apportent de solutions. Ce sont plutôt les grands élevages de cent, cinq cents ou mille têtes et plus qui, montés par des professionnels, régleront tous les problèmes, à commencer par la pénurie de lait, le vrai lait et la pratique de l'insémination artificielle. Le directeur technique de Jura Bétail, présent lors d'une formation d'inséminateurs en 1987, à Bougara, s'est adressé aux stagiaires en ces termes : «Vous débutez comme l'ont fait les inséminateurs français dans les années 1950. Mais vous êtes plus chanceux, eux se déplaçaient au début à vélo. Dans 10 ans, vous serez fiers d'avoir réussi à lancer et à développer l'insémination artificielle en Algérie.» S'il revenait ces jours-ci en Algérie, le directeur technique de Jura Bétail verrait bien qu'il avait tout faux, et que ses dires n'étaient en réalité que des vœux pieux.