Le recours au casting, un phénomène nouveau lié au changement du paysage culturel. Ils ne sont pas peu nombreux ceux qui se sont demandé s'il ne s'agissait pas d'une inopportune coquetterie de la part du Théâtre algérien que celle de recourir depuis peu à des casting. «Ce que l'on ignore, c'est que la réalité du théâtre algérien a évolué pour s'aligner sur une norme devenue universelle, une règle qui fait que l'audition est l'apanage de tous les arts du spectacle et non plus du seul cinéma», explique-t-on du côté de ceux qui adhèrent sans réserve à cette nouveauté. Entre le scepticisme des uns et l'enthousiasme des autres, qu'en est-il de la réalité ? Pour le savoir, le meilleur moyen était d'assister à un casting. Le TRO (Théâtre régional d'Oran Abdelkader Alloula) en organisait un pour constituer la distribution de Syphax, sa nouvelle production. Le premier jour, près d'une trentaine de candidats attendaient de passer devant un jury où figuraient le scénographe Abderrahmane Zaâboubi et le chorégraphe Laïd Djelloul. Etaient là, également, les assistants du metteur en scène, Ghaouti Azri et Lakhdar Mansouri, ainsi que notre confrère Bouziane Ben Achour, l'auteur de la pièce. Chacun était pourvu de deux fiches techniques remises par Aïssa Moulefera, le metteur en scène. La première caractérisait chacun des douze principaux personnages. La seconde servait à l'évaluation des candidats par rapport à leur présence, leur évolution sur scène et leur capacité d'improvisation ainsi que leur affinité avec l'un ou l'autre des personnages. Aux premiers rôles, s'ajoutent six seconds rôles au titre de la masse intelligente. Le chorégraphe, lui, avait plutôt en tête l'observation des qualités plastiques des postulants puisqu'il avait à sélectionner parmi eux une vingtaine, soit dix filles et dix garçons, devant constituer un ballet d'interprétation. Il en fera le chœur et le coryphée, la mise en scène étant envisagée selon une facture classique. «Le recours au casting l'a été la première fois en 2007 au TNA avec El Hakawati El Akhir du Marocain Abdelkrim Berrechid, mis en scène par le Tunisien El Mounji Ben Brahim», précise Aïssa Moulfera. «Rien de plus normal alors, ajoute-t-il. D'une part, le metteur en scène ne connaissait pas les comédiens algériens et, d'autre part, la distribution était pléthorique pour que le collectif des comédiens sous contrat au TNA puisse suffire. Ce faisant, s'écoulait en douceur l'obligation de constituer sa distribution en recourant essentiellement aux comédiens permanents du théâtre qui produit la pièce». En effet, pour l'administration des théâtres, l'impératif était alors de rentabiliser un personnel qui émargeait mensuellement au budget de l'établissement, un budget duquel il restait si peu pour monter les spectacles. Depuis, la jonction entre deux volontés commence à se réaliser, celle du metteur en scène et celles de comédiens désireux d'accomplir avec lui un bout d'aventure artistique autour d'un projet. Beaucoup prétendent que cette évolution s'est imposée parce qu'il existe également une volonté de donner leur chance à de nouvelles figures. «C'est de la démagogie !», répondent ceux au fait de la réalité : «La vérité, c'est que d'abord, avec les départs à la retraite, les comédiens permanents sont en nombre très réduit, et qu'ensuite parce que et surtout, le nombre de pièces montées par an s'est démultiplié, d'où le besoin grandissant de comédiens». Entre-temps, également, il faut souligner que les théâtres publics, qui étaient au nombre de sept depuis 1972, sont passés à douze, et les nouveaux lieux, comme les anciens, évitent de s'encombrer d'une troupe permanente qu'ils considèrent comme budgétivoire et peu motivante pour l'expression artistique. Ils préfèrent engager les comédiens en passant avec eux des contrats à durée déterminée. Par ailleurs, l'audiovisuel – cinéma et télévision –, dont la production est également en hausse, puise lui aussi dans le même réservoir artistique. Du coup, il est devenu difficile de trouver un comédien disponible en Algérie. Il n'était pas alors étonnant que les deux jours arrêtés par le TRO pour les auditions n'aient pas suffi à finaliser le casting de Syphax. Il a fallu aller plusieurs jours au-delà, et une centaine de candidats jaugés sans pour autant aboutir au résultat escompté. Si pour les personnages secondaires, comme ceux destinés au ballet, le plein a pu être fait, pour ce qui est des personnages principaux, tout reste encore à faire. En effet, hormis Haïmour, retenu es qualité pour camper le personnage du narrateur, un rôle dans lequel il excelle assurément, seule une jeune femme a été pressentie pour camper Sophonisbe, l'épouse de Syphax. Il s'agit d'une candidate qui n'est jamais montée sur scène mais qui, selon Aïssa Moulefera, dispose d'un potentiel appréciable. A cet égard, il est notable que l'essentiel des candidats fussent des semi-professionnels et des amateurs dont beaucoup n'avaient aucune idée du déplacement sur scène, de la façon de dire un texte ou encore de l'expression corporelle : «Cela prouve une chose, c'est que la formation est demeurée à la traîne et que le théâtre amateur reste encore le réservoir où doit puiser le théâtre professionnel. Pis, on donne l'illusion aux gens qu'on peut devenir comédien sans passer par une formation solide. De ce point de vue, le théâtre algérien a connu une régression», commente Abderrahmane Zaâboubi. Le TRO va être certainement obligé de prospecter hors de la ville et de la région oranaise pour finaliser la distribution de la pièce. Avec ses 20 millions de dinars de subvention pour monter Syphax, le producteur pourra débourser pour l'hébergement des comédiens qu'il aura à recruter ailleurs, cette fois sans procéder à un casting, mais ce sera autant de dépenses à défalquer des autres chapitres : le montage de la pièce, les décors, les costumes, la promotion, etc. Une incontournable question s'impose à l'issue de ce tour d'horizon : le métier fait-il vivre son homme ? Avant de répondre, d'aucuns notent que les comédiens ont maintenant la satisfaction d'être distribués plus souvent dans l'année, et non plus une fois tous les deux ou trois ans, et donc d'exercer véritablement leur art, contrairement au temps de l'économie administrée. Mais, de l'autre côté, en cette ère du cachet, sans statut d'artiste, ces intermittents du spectacle sont livrés à la précarité. En effet, hormis un petit nombre de comédiens talentueux, dont certains théâtres se sont attaché l'exclusivité de leurs services et auxquels il a été offert un contrat à durée indéterminée, les autres sont recrutés sur la durée d'une année renouvelable ou seulement sur celle d'un projet. Par ailleurs, pour ce qui est du montant du cachet, il n'existe aucun barème, chaque théâtre improvisant en fonction de sa situation, du budget consacré à tel ou tel projet et de l'importance de ce dernier, voire de la vision de cette importance. De manière générale, selon que le comédien soit un inconnu ou quelqu'un qui s'est fait un nom, il perçoit entre 10 000 à 20 000 DA par mois durant la phase de répétition et 3000 à 50 000 DA pour chaque représentation, le nombre de celles-ci allant de 10 à 30, selon le cahier des charges signé avec le ministère de la Culture. Hassan Assous, le directeur du théâtre de Sidi Bel Abbès, explique que la programmation des spectacles est, autant que possible, réalisée sur une durée la moins longue, cela de façon à libérer les comédiens pour s'investir dans d'autres projets. Il existe enfin d'autres petits arrangements par lesquels certains comédiens sont avantagés financièrement, une manière de contourner la moyenne des salaires versés. Ils sont nommés, en plus de leur prestation de comédien, comme assistant du metteur en scène ou alors il leur est parfois confié la mise en scène d'un spectacle pour enfants, le producteur n'étant pas très exigeant sur la qualité de la réalisation dans la mesure où pour le ministère de la Culture, ce qui compte dans son évaluation, c'est la notion de service fait. La condition déplorable des comédiens est, par ailleurs, une menace pour le théâtre qui peut se voir privé des talents en la matière par la concurrence du cinéma et de la télévision, mais surtout qui risque de ne pas générer les conditions acceptables pour que des jeunes gens puissent envisager une carrière et donc perfectionner leur art. Si le salariat a montré ses limites bureaucratiques, un «libre marché de la comédie» peut s'avérer une tragédie sans rémunérations attirantes ou du moins acceptables. L'expérience nouvelle du casting révèle au passage les limites d'une politique faite de volontarisme parce qu'orpheline d'une réforme du théâtre, un théâtre qui tourne en rond pour n'avoir pas capitalisé la formidable refondation qu'il a vécue lors de la décennie quatre-vingt dix. Combien de nouvelles têtes d'affiche a-t-il fait émerger depuis ? Combien de pièces marquantes a-t-il enfantées ? Pour quand les nouveaux Sirat Boumediène et Azzedine Medjoubi dont plusieurs générations se souviennent encore, longtemps après leur disparition, de leur présence rayonnante sur les planches ?