Les appels aux marches, grèves et rassemblements se multiplient sur les réseaux sociaux. Avec ses 1,2 million d'inscrits, facebook est le réseau social le plus utilisé en Algérie. La Toile algérienne est devenue un véritable sénat de la Rome antique. Un groupe, une page, un profil et la révolution est en marche… La fronde citoyenne prend de nouvelles formes en Algérie. Et si les débuts étaient quelque peu timides, les réseaux sociaux se sont transformés, depuis quelques semaines, en véritables réseaux de contestation et de mobilisation. Très inspirés par les «cyber-révolutions», les internautes locaux se prennent au jeu –virtuellement du moins. Résultat ? Les langues se délient, les critiques les plus acerbes fusent, les plus frileux se découvrent des fibres de farouches opposants et les actions de contestation s'organisent. Le premier lieu de rencontre de la cyber-dissidence algérienne est bien évidemment «the» réseau par excellence, facebook. Il a récemment été établi que, contrairement aux utilisateurs occidentaux qui publient en grande majorité des statuts personnels, les facebookistes maghrébins utilisent leurs murs pour faire… de la politique. La Toile algérienne est de ce fait devenue un véritable sénat où chacun y va de son opinion, de sa critique, de son coup de gueule ou de sa louange. Mais, plus important encore, l'on débat. L'on partage. L'on est pour la liberté d'expression et on le prouve. Il n'est d'ailleurs pas rare de croiser des altercations numérisées entre pro et anti-pouvoir, entre pro et anti-parti politique, entre pro et anti-marche ou entre simples observateurs. Et s'il y a encore quelques mois, l'internaute lambda se contentait de relayer diverses informations politiques et de clamer haut et fort son indignation, aujourd'hui, la résistance s'y organise. Pour preuves le comité pour la libération de Mohamed Gharbi ou encore les quelques sit-in organisés via facebook par des collectifs de jeunes. L'on peut donc aisément imaginer que, actualité oblige, la révolution est au bout de tous les doigts. Mille et une pétitions circulent, demandant, par exemple, le gel des avoirs algériens en Suisse. Les groupes et autres pages exigeant «un changement du système» ou scandant un très tunisien «système dégage !» pullulent. Les appels à rassemblement et à manifestation vont bon train. Les invitations à prendre part à de tels rendez-vous sont lancées et relancées à des milliers d'utilisateurs. Quelques jours avant la marche du 12 février dernier, facebook n'en avait que pour ça. «Même après, d'ailleurs. Les fils d'actualité étaient inondés des photos, des vidéos, des commentaires, des liens, concernant le déroulement de la manifestation avortée», raconte Sofiane, 23 ans, qui a répondu présent à «l'événement» via sa boîte blanche et bleue. Et c'est d'ailleurs simple : la plupart des manifestants, les plus jeunes s'entend, ont eu vent des rassemblements prévus par le biais des appels lancés sur facebook. Ils sont les principaux animateurs de la vague de contestation qui agite la Toile algérienne. Ils ont la vingtaine, de l'ambition et de la créativité plein le clavier. On les décrit superficiels, apolitiques, inconscients, désintéressés de la chose publique… pourtant, les jeunes Algériens montrent un tout autre visage dès lors qu'ils sont derrière un clavier. S'ils n'activent pas forcément dans la vraie vie, ils ne ménagent pas leurs efforts sur la Toile pour tenter de mobiliser, discuter et entreprendre. L'autre visage des jeunes Les pages regroupant des mouvements de jeunes aspirant et activant pour un changement se comptent par dizaines. «Les commentaires et autres publications reflètent parfaitement l'opinion des internautes. Ils s'expriment librement, confortablement installés devant leur ordinateur, sans aucune peur de censure ou de représailles. Donc, à mon sens, ce qui est dit et écrit reflète sincèrement la réalité citoyenne, sans tabou et sans complexe. Les jeunes sont de plus en plus conscients des réalités qui les entourent. Ils aspirent réellement à un changement», affirme l'administrateur de la page de journalisme citoyen Envoyés spéciaux algériens (ESA). Et si les créateurs d'ESA sont soulagés de constater qu'ils regroupent «heureusement» toutes les catégories sociales, la part belle est faite aux jeunes. La majorité écrasante des adhérents – 75% des membres d'ESA – ont entre 18 et 34 ans, selon les statistiques de fréquentation de la page. Les 25% restants des facebookeurs qui la visitent régulièrement ont, tout de même, entre 34 et 55 ans. Alors, si l'on s'en tient à ces chiffres, les jeunes internautes algériens sont des opposants et des révolutionnaires dans l'âme. Ou tout du moins à leur clavier… «C'est du vent !» Alors, la révolution se fera-t-elle sur Internet ? Pas forcément. Car sur le terrain, les plus virulents ne suivent pas systématiquement. «La contestation sur facebook, la plupart du temps, c'est du vent», juge, implacable, Hamza. «Si 3000 personnes assurent qu'elles participeront à un événement organisé via facebook, vous pouvez être sûr que seulement une poignée y prendront effectivement part. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé lors des deux précédentes marches», argue-t-il. Yacine Zaïd partage d'ailleurs cet avis : «Il faut le dire. Tout cela ne sert à rien si on ne descend pas sur le terrain. Si l'on lance un appel à évènement, un sit-in par exemple, et que l'on reste derrière son écran, ça ne changera rien à rien.» «Je passe parfois plus de 14 heures connecté, et mes activités virtuelles m'ont beaucoup aidé. Mais seul le terrain est le vrai traducteur du message adressé au pouvoir ou aux responsables, ou encore aux citoyens que nous voulons mobiliser», ajoute Yacine. D'autant plus que, contrairement aux pays voisins, le taux de pénétration d'internet en Algérie reste encore trop marginal ; il n'est que de 13,6%. Le pays fait ainsi figure de petit joueur avec ses 4,7 millions d'utilisateurs pour une population de près de 35 millions d'habitants. Quant aux inscrits sur facebook, ils ne sont estimés qu'à près de 1,2 million. A titre de comparaison, ils sont près de 4 millions en Egypte. Toutefois, même balbutiantes, les nouvelles technologies, qui ont pu en déloger des coriaces, font peur au pouvoir. «Depuis quelque temps, les autorités font face à ce mouvement avec tout un arsenal matériel et des ingénieurs spécialisés», affirme Yacine. Ou encore, plus pernicieux, les «trolls». Ce sont des profils, des personnes ou autres, qui s'incrustent dans les conversations et forums et qui «polluent». Ils créent ainsi la diversion en se faisant passer pour de «vrais» citoyens, semant la zizanie ou insultant un tel ou un tel. Des baltaguias high-tech…