Au quatrième jour du début des opérations contre la Libye, le monde semble de plus en plus divisé sur l'interprétation de la résolution du Conseil de sécurité. Si certains, comme la France, les Etats-Unis et l'Italie, se frottent les mains et se félicitent du «succès» de l'expédition, d'autres crient carrément à l'occupation. Signe de cette polémique, le Conseil de sécurité de l'ONU devait se réunir, hier soir à huis clos, pour décider de la «suite à donner à la demande libyenne d'une réunion d'urgence». Le régime d'El Gueddafi s'est plaint hier auprès du Conseil de sécurité de «l'agression franco-américano-britannique contre la Libye, un Etat indépendant et membre des Nations unies». Cet appel est relayé par la réserve de beaucoup de pays, y compris des puissances comme l'Allemagne, l'Inde et le Brésil qui craignent une dérive guerrière des alliés. Ceci d'autant plus que sur le terrain, le deuxième cessez-le-feu décrété par le régime d'El Gueddafi n'a pas été respecté, ni par son armée ni par les forces occidentales. Onze personnes au moins auraient été tuées à Misrata par les forces d'El Gueddafi et la ville de Zentan, à l'ouest de la Libye, a subi d'intenses bombardements. De leur côté, les Américains ont ciblé le quartier général d'El Gueddafi à Tripoli et bombardé des positions de l'armée «loyaliste» à Adjdabia, Benghazi et Misrata, la poussant à se replier. Hier, la Libye était un véritable champ de bataille. Une perspective qui commence sérieusement à faire peur à Paris, Bruxelles, Sofia et même Moscou. Le missile de Poutine Le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, s'est même payé une polémique avec son jeune maître du Kremlin en assimilant carrément la résolution de l'ONU, autorisant le recours à la force, à un «appel aux croisades». «Il est clair qu'elle (la résolution) autorise tout à tout le monde, n'importe quelle action à l'encontre d'un Etat souverain. Cela me fait penser à l'appel aux croisades à l'époque du Moyen-Âge, quand on appelait les gens à partir quelque part pour libérer cet endroit.» Réserves fondées Ce «missile» diplomatique, tiré par Poutine, a atteint en plein cœur son ami Medvedev. Ce dernier reprend au vol et assène qu'il est «inadmissible d'employer des termes qui mènent au choc des civilisations, des expressions du genre croisade ou autre. C'est inacceptable». Cet échange orageux entre les deux maîtres de Moscou sur «l'expédition libyenne» se vérifie presque dans tous les pays où responsables politiques et opinions publiques ne sont pas forcément sur la même longueur d'onde. En revanche, l'Allemagne s'est dite hier «confortée» dans ses fortes réserves à l'égard de l'opération militaire. Son ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, fait ce constat : «(…) Lorsque nous avons entendu ce que la Ligue arabe a dit hier (dimanche), malheureusement, nous avons constaté que nous avions des raisons d'être préoccupés.» Autre contradiction qui fragilise davantage le consensus sur la Libye, l'objectif de la mission. Si pour le Premier ministre belge, Yves Leterme, l'objectif de «déloger» le colonel El Gueddafi du pouvoir a été «clairement énoncé» par la communauté internationale, tel n'est pas l'avis des responsables américains. «Les frappes aériennes de la coalition contre la Libye n'ont pas pour but de chasser El Gueddafi du pouvoir, mais de 'protéger les civils'», a affirmé dimanche le plus haut gradé américain, l'amiral Mike Mullen. Mais le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a rajouté une couche à cette discordance ambiante en laissant entendre hier que le colonel El Gueddafi «pouvait être pris pour cible par les frappes». Son collègue italien, Franco Frattini, rectifie que «cela ne devrait pas être une guerre contre la Libye» mais «l'application stricte de la résolution de l'ONU». C'est dire qu'à Bruxelles, les opérations contre la Libye ont pris hier l'allure d'une «blague» de mauvais goût, suscitant les rires de certains et les craintes d'autres. Sur le terrain, les frappes sont loin d'êtres chirurgicales…