La tête coiffée d'un bonnet et chaussant des bottes en caoutchouc, Ahmed et Abdelkader sont parmi les milliers de saisonniers qui gagnent leur vie comme métayers. Ils ont respectivement 17 et 15 ans. Nous les avons rencontrés au milieu d'un champ de patates, au lieu-dit Firadj, près d'El Amra, à quelque 10 km de Aïn Defla, en train de cultiver de la pomme de terre. Ahmed témoigne : «J'ai arrêté mes études en 1re année moyenne, et depuis, je fais ce travail ‘‘bech nekhdem âla waldiya'' (pour faire vivre ma famille). Mon père est handicapé et j'ai deux sœurs et un petit frère à charge. Tous les matins, il y a un type qui vient nous chercher au café quand ils ont besoin de main-d'œuvre, et je vais ainsi de champ en champ. Je gagne entre 600 et 700 DA/jour. On est payés à la tâche. La récolte de la pomme de terre débute en décembre et se termine en janvier. Après, on passe à autre chose. A chaque saison, sa récolte : salade, artichauts, oignons, pastèques, oranges, tout pousse ici. Hamdoullah, on ne chôme pas. Par contre, la paie, ‘‘chouiya bark, gad el kesra'' (juste de quoi payer sa galette)». Le benjamin prend le relais : «Moi, j'ai arrêté mes études en 3e année moyenne. On était considérés comme des «mouchaghibine» parce qu'on ne laissait pas les profs nous frapper, alors, on nous a chassés de l'école», témoigne Abdelkader avec une pointe de malice. «On est quatre à la maison. Il n'y a que moi qui travaille. Mon père s'est retrouvé au chômage après qu'on ait fermé la société dans laquelle il travaillait.» A la question : qu'est-ce qui vous manque le plus ici, la réponse de Abdelkader est sans appel : « T'khass leqraya» (nous manquons de moyens pour étudier). «Si les gens n'étudient pas, ils connaîtront le même sort que nous. Nous trimons comme des bêtes de somme. Nous nous levons à 4h du matin au milieu d'un froid terrible. On cravache de 6h du matin à 17h pour un salaire dérisoire. On n'a même pas droit à un repas. Parfois, on ne mange rien de toute la journée.» Aussi, l'ambition de Abdelkader est-elle de changer très vite de métier : «Je vais chercher un autre travail, ‘‘taâ l'intrite'' (un travail qui me garantisse la retraite)», confie-t-il. Et de préciser : «Rani rayeh n'gagi, neqra bel mourassala (je vais étudier par correspondance et m'engager dans l'armée). Il n'y a que ça pour me garantir un avenir stable. L'avantage dans l'armée est que le salaire est assuré».