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Les Algériens aiment-ils leur pays ?
L'algérie entre passions et critiques
Publié dans Liberté le 05 - 04 - 2006

Aimez-vous l'Algérie ? La question pourrait sembler “bateau” comme on dit, et la réponse évidente. Curieusement, c'est une évidence à double sens, empruntant deux directions totalement opposées. Pour les uns, la réponse est “tellement oui”. Pour les autres “tellement non”. Les uns vivent leur algérianité comme une grâce, les autres comme une punition. Petit “voyage” à l'intérieur de notre Conscience nationale.
Lamia, la battante : “L'Algérie, c'est mes pères et mes repères !”
Lamia a 28 ans. Juriste de formation, elle est responsable de la logistique dans une société étrangère sise à Hydra. Belle, rebelle, un dynamisme à toute épreuve en bandoulière, elle est la première étape de notre “voyage” sur les traces du patriotisme algérien. “Est-ce que j'aime l'Algérie ? N'mout aliha ! Je ne peux pas me détacher de l'Algérie !” exulte Lamia. “Ici, j'ai mes repères, mes parents, mon entourage. C'est ici que j'ai grandi. Que j'ai galéré. J'ai pris le bus, j'ai transpiré, j'ai fait mes études durant les années difficiles. Mes parents ont consenti des sacrifices pour m'élever. Pour que j'étudie. Je ne peux pas effacer d'un trait toute cette galère. Je suis fière d'avoir tenu tête à tout ça, cette décennie rouge comme on dit. On nous dit tout le temps que ça ne marche pas, on se plaint tout le temps. Ce n'est pas vrai, il y a tout en Algérie, l'agriculture, le tourisme, nous avons une côte en or…” Pleine de caractère, Lamia concède cependant que l'Algérie est un “sport de combat” pour les femmes, pour paraphraser Bourdieu. “Ici, les femmes marchent à l'énergie solaire”, ironise-t-elle. “Une fois le soleil couché, la femme doit rentrer dare-dare à la maison. Je voulais faire les arts martiaux rien que pour casser la gueule à pas mal de mecs.”
Nounou, le hittiste résigné “L'Algérie, boubi l'a mangée !”
Noureddine alias Nounou, 27 ans, un café serré à la main, ronge son frein du matin au soir en hittiste résigné. Ex-employé de l'ex- DNC, il est au chômage depuis quatre ans. C'est l'une des nombreuses victimes de la “khaoussassa” comme il dit, la privatisation. “L'Algérie klaha boubi. Boubi l'a mangée. Voilà. À 27 ans, je suis là à traîner, ni avenir ni chkoupi. Je fais partie des victimes de la dépermanisation d'Ouyahia oua mouchtaqatouhou (Ouyahia et dérivés). J'étais travailleur dans une société nationale ; après sept ans de service, au revoir et tarbah ! Partout où tu vas demander du travail, dès qu'ils voient sur ton CV Bab El-Oued, ababababab. Tu as beau avoir un diplôme, tout ce que tu veux, mafihache. Ici, les seuls qui peuvent trouver du travail, c'est ou ta mère, ou ta sœur. Si je trouve le moyen de partir, Bouteflika ila llika ! Sellek habssek ! L'Islam, tu le mets de côté, tout le reste à jeter ! Les minables ne nous ont rien laissé. Ce qu'il faut pour que ce pays s'arrange, c'est une guerre civile. Ne laisser qu'un million de survivants ! illa men rahima rabouk ! Il faut une guerre civile !”
Ammi Ahcène, le gardien du drapeau “J'ai tatoué la croix gammée pour narguer les Français !”
Ammi Ahcène a 81 ans. Ce natif de Jijel est venu très tôt s'installer à Belcourt. Il lisait tranquillement son quotidien préféré, El Watan, dans le jardin attenant à la Bibliothèque nationale d'El-Hamma quand nous l'avons importuné. Ancien coiffeur à la retraite, il avoue avoir appris le métier “sur la tête des soldats anglais débarqués à Alger en 1942”. Ammi Ahcène a un signe fort particulier : une petite croix gammée tatouée sur sa main comme une bravade. “Ce signe nazi que tu vois là, c'était pour narguer les Français”, dit-il en partant d'un sourire espiègle, avant de marteler, péremptoire : “Pour moi, l'Algérie est le meilleur pays au monde. Il est juste mal exploité.” “Quand mes enfants critiquent le pays, cela m'irrite”, poursuit-il. “Malheureusement, les premiers responsables ouakhdhouna. C'était le socialisme. El-ichtirakiya. Villa lik ou barraka liya”. Le cœur de ammi Ahcène vibre avec le drapeau algérien. “Il n'y a pas longtemps, j'ai été ébranlé lorsque j'ai constaté, en regardant l'hôtel Sofitel, que l'emblème du Sofitel était plus haut que l'emblème national. Tout de suite, j'ai foncé sur l'hôtel et j'ai attiré l'attention d'un agent de sécurité en faction en lui disant : had laâlam matou âli 2 millions de chouhada. L'autre drapeau doit être de quatre doigts plus bas minimum. On ne sait pas si la direction du Sofitel a tenu compte de l'observation de ammi Ahcène. Pour lui, le nif, le fameux “pif” algérien, a tendance à disparaître. “Oh, le nif c'est chez les vieux. Les jeunes n'ont pas été élevés avec ça”, soupire l'homme avec regret.
Mohamed, étudiant m'digouti “Zizou n'a rien d'un Algérien !”
Mohamed, 24 ans, est étudiant en 3e année sciences de gestion à Dély-IBrahim. Lui non plus ne sait pas trop ce que le mot “patriotisme” peut bien signifier pour un jeune m'digouti. Néanmoins, il garde en tête quelques réminiscences “nationalistes”. Par exemple, cette pépite : “Le jour où Zizou a embrassé le drapeau français en 1998, ce jour-là, je l'ai détesté à vie.”
Isma,
l'Argelina “On ne mérite pas un aussi beau pays !”
On remonte de Belcourt au Golf, on divise l'âge de ammi Ahcène par quatre et on tombe sur Isma. Tout juste 22 ans, Isma, cœur tendre et mental de fer, est fraîchement diplômée de l'Institut d'interprétariat d'Alger, spécialité espagnol. Que signifient pour elle les lettres “a, l, g, é, r, i, e” ? Micro : “Je suis très fière de mon pays, très fière d'être algérienne. D'ailleurs, sur msn, mon pseudo, c'est Argelina. On m'a toujours appelée l'Algérienne. Chaque fois que je prends un taxi, j'ai mal au cœur d'entendre les gens critiquer leur pays. Ça m'énerve. Il m'est arrivé de me disputer avec eux.”
“Je suis émue chaque fois que j'entends l'IIliade algérienne de Moufdi Zakaria. À la chorale du lycée Descartes où j'ai fait mes études secondaires, je pleurais chaque fois qu'on la chantait. Ce n'est pas un rapport scolaire à la Révolution. C'est charnel. C'est familial. Le nationalisme est une valeur très importante. Si tout le monde était nationaliste, je suis sûre que le pays n'aurait pas été dans cet état. Quel gâchis ce pays ! On ne mérite pas ce qu'on a. J'ai l'opportunité d'aller en Espagne, en Californie où j'ai un frère. Mais je n'irai nulle part. Je préfère travailler ici, donner tout à mon pays”.
Ici meurt Kaci ! Ou, plutôt… H'na t'mout Isma !
Khalti Malika, l'Algérie qui s'effrite “Si je le pouvais, je partirais en Espagne”
Incarnation parfaite du Vieil-Alger pleuré par Meskoud, khalti Malika vit à La Casbah depuis 40 ans. Elle a aujourd'hui 64 ans et six enfants dont un fils établi en Espagne. Souffrant d'un méchant cholestérol, elle nous fait visiter sa masure en pointant du doigt les fêlures qui lézardent les murs et le plafond. “Je vous le dis franchement : si je trouve le moyen de quitter ce pays, je pars. L'Algérie est chère à nos cœurs, mon fils, mais que voulez-vous ? La Casbah, c'est l'Algérie, et pourtant, elle est totalement abandonnée. L'Algérie ne nous a pas donné nos droits, ya oulidi. Quand tu vois un homme de 50 ans pas marié, bezzaf. On n'a pas où habiter. Si on me donne un logement décent, je pars. Je suis malade, je ne peux plus monter jusqu'ici, la maladie est dure pour moi. Rani maghbouna fessoukna. Si j'avais la possibilité de rejoindre mon fils en Espagne, je le ferais. Bledna hiya bledna. Mais là où je suis bien, là est mon pays.”
Saliha, l'optimisme “tout-terrain” “Ce pays, je lui trouve une âme”
Saliha, 40 ans, femme pleine d'entrain et respirant l'élégance, est chargée des relations publiques dans une boîte privée. Avec son entregent et sa douceur naturelle, elle a vraiment la tête de l'emploi. “L'Algérie, c'est ce qui me fait vibrer”, dit Saliha avec enthousiasme. Et d'ajouter : “La raison qui me fait aimer ce pays ? J'ai beaucoup voyagé en Algérie. Et ce pays, je lui trouve une âme. On croise un regard dans une rue, on s'échange des sourires, des salutations gratuites, le geste de la main. Les gens du Sud, par exemple, ont une telle façon de serrer la main, c'est d'une sincérité… J'ai visité New York. Tout est beau, tout est nickel, mais les gens sont froids. Ici, nous avons de vraies valeurs. Il y a encore les réseaux de solidarité. Prenez un mot comme “netrafdou”. Je trouve cette formule magnifique.”
Saliha nous dit tout son bonheur de redécouvrir chaque jour Alger : “Ce que j'aime dans ce pays, ce sont les saveurs d'une bonne orange. La fraîcheur de nos légumes, le goût de notre viande, le sens des saisons. Là-bas, il n'y a plus de saisons. Malheureusement, les gens ne prennent pas le temps de regarder, d'apprécier. Moi, je marche beaucoup dans Alger, et chaque jour, je redécouvre Alger. En sortant du travail, je me balade, je regarde, je redécouvre les façades, les bâtisses, tel motif dans tel immeuble, tel escalier dans telle ruelle. Je m'attable seule sur une terrasse, et même si on m'embête un peu, ce n'est pas méchant : il suffit juste de bien le prendre. La vie est certes dure, mais il faut se battre. Les rues sont sales ? Ça peut s'arranger. Il y a un problème de transport ? Prends un taxi, prends le bus, prends tes pieds… Je n'aime pas ce pouvoir ? Je me bats, j'occupe l'espace, je prends la parole. Il faut rester “hadjra fe sabbat” comme on dit. Même si j'ai une pierre, un bout de carrelage dans ce pays, je le défendrai !”
Ahmed, le désespoir à fleur de peau “El-hadda liman istataâ”
Ahmed, 18 ans, est un passionné de break-dance. Pull sans manches exhibant ses muscles, il a une vraie stature de danseur. Nous l'avons rencontré près de Qaâ Essour où il vient s'entraîner. Glandouillant avec ses deux compères Bilal & Bilal, il médite le monde tandis qu'un épais brouillard mange gloutonnement la mer et sa tête. Le moral tenu avec du scotch, il a le regard lourd, lui qui a une bouille d'enfant moitié cachée sous une casquette d'ado. “J'ai quitté le lycée. Je ne fous rien de la journée. Je n'ai qu'une passion : le break-dance. Je vous le dis franchement : k'raht lebled hadi. J'en ai ras-le-bol de ce pays. Rani m'leggui. Si j'en avais la possibilité, je foutrais le camp sur le champ. Je prendrais echikh oua laâjouz et hasta la vista chriki ! Yerham babak, mon père gagne à peine 10 000 DA. Il donne 5 000 pour rembourser ses dettes du mois, achète une piqûre pour ma mère qui est atteinte d'un cancer. Il lui reste 2 000 DA. Comment vivre avec 2 000 DA ? Comment aimer un pays pareil dis-moi ? Ce pays ne m'a apporté que la misère et des problèmes.” À un moment donné, Ahmed hèle une jeune fille : “Dis-moi mademoiselle, il y a un avenir dans ce pays ?” Discussion avec l'adolescente en hidjab sur l'avenir des huîtres en Méditerranée méridionale. Et de reprendre sa litanie de chikayate : “Quel idiot je fais ! Quand je pense que j'ai été au paradis et en suis revenu ! C'était l'an dernier. J'ai eu l'occasion de partir en France. À Marseille. C'était dans le cadre d'une compétition de break-dance justement. Je suis resté une semaine, j'étais bouche bée. Je suis rentré à cause de ma mère. Ma mère c'est tout pour moi. Quand je suis revenu, pendant une semaine, je voyais rouge. Chaque fois que quelqu'un me lançait “saha chriki”, je lui répondais d'une salve d'insultes. Là-bas, les gens sont doux, si gentils, ouahad ma âla balou bik, personne ne te demande où tu vas… L'Algérie, c'est pour les riches. Endek, t'îche, ma andekch, takoul lahchiche !”
Réda, le harraga kamikaze “Ya rayeh win m'ssafer…”
Réda, 30 ans, est un vrai harraga. Un kamikaze. Beau gosse, sourire béat, yeux rieurs, drogué de Cheb Billal, son directeur de conscience, cet enfant de Boufarik a la carapace d'un dur et le cœur d'un enfant. En 1996, il s'achète un visa pour la Pologne à 12 000 DA de l'époque et fonce sans un sou vaillant en poche. De Varsovie, il se fraie un chemin parsemé de rudes épreuves jusqu'en Allemagne où il est établi à ce jour. À présent, il prépare patiemment son retour, “el wahch” faisant son effet. “J'ai le pays dans le sang, lebled fe dem”, dit-il. “Comme dit Dahmane : Ya rayeh ouine m'ssafer… Je ne veux pas que mes enfants grandissent en Allemagne. Que ma fille, à 18 ans, parte avec un type ou me ramène un homme à la maison. Je déteste les Allemands. k'rahthoum. Ils sont fondamentalement racistes. Ils sont froids. Nous, on a l'ambiance, aândek maâ men t'gassar, tu as avec qui discuter, ma aândekch takoul, t'as pas de quoi payer, ça ne fait rien, bois aujourd'hui, et paie-moi demain, et si tu n'as pas, encore un café men aândi, maâliche. Eux, ils n'ont pas ça. Depuis le 11 septembre, ils nous détestent encore plus. Les musulmans sont indésirables, d'où tu viens toi, musulman ? Pas de boulot. Nein ! Nein !” “Yekdeb aâlik, aslak ou faslek h'naya. C'est ici tes racines. Elli ibeddel aslou ma aândouche dine. Celui qui change d'identité, change de religion. Il faut juste faire le “taouil” et revenir. J'aurais pu prendre la nationalité allemande, mais je ne le voulais pas. Imagine si une guerre éclate avec l'Allemagne, je vais combattre ouled bladi, ça ne va pas ?!”
Na Taos, la mémoire torturée de la Kabylie “On n'a pas vu l'indépendance !”
Na Toas a 65 ans et des séquelles coloniales sur tout le corps. Nous l'avons rencontrée à Larba Nath-Ouacif, en Haute-Kabylie. Vêtue d'une robe bariolée typiquement kabyle, un foulard à l'ancienne, elle a quelque chose d'amer dans le regard. “Nous avons payé de sept ans de guerre notre indépendance.” raconte-t-elle. “J'ai vécu l'enfer de la guerre (elle prononce “el guirra enni”, ndlr) dans toute son horreur. Notre village (Thimaghrass) a beaucoup donné. J'ai été torturée à mort, regardez (elle montre son cuir chevelu brûlé au-dessus de la nuque). Je ne mange pas la pomme de terre depuis 1962. J'étais en captivité et on ne mangeait que ça : de la pomme de terre bouillie. Mon mari aussi est traumatisé par la guerre. On touche une pension de 2 millions tous les trois mois. Nous n'avons rien récolté de nos sacrifices. La Kabylie est délaissée. Cette région a porté la Révolution sur ses épaules, et enfin de compte, ce sont les autres qui ont récolté les honneurs. J'ai six enfants. Ils sont tous au chômage. Il n'y a pas de travail par ici. Pas d'usine. Regardez l'état des routes. L'indépendance ne nous a rien apporté. Nous avons lutté pour rien.”
Nassima, la “binat'” sans frontières “Le nationalisme appartient à une autre époque”
Nassima, 29 ans, est médecin. Pétillante jeune femme, elle travaille dur pour partir parfaire ses études de médecine aux Etats-Unis après une spécialité avortée à Alger. Nassima a la particularité d'être binationale, étant de mère franco-algérienne. Pour autant, elle tient à ses racines algériennes. “Je n'ai pas voulu prendre de prénom français. Mon deuxième prénom est Mériem et non pas Marie”, souligne-t-elle. “Le monde a bien changé. Je pense que le nationalisme appartient à une autre époque. Il faut s'ouvrir aux autres cultures. Je suis nationaliste, mais pas chauvine vu qu'à la base déjà, je suis issue d'un mélange. Le nif, c'est bien. Il y a des gens très dignes et j'admire ça. Mais des fois, c'est mal placé. Comme dit Cyrano de Bergerac : Un pareil appendice n'est rien d'autre que l'indice d'un homme bon, affable, courtois, libéral, téméraire, tel que je suis.” J'éprouve souvent de la peine pour notre pays avec toutes les absurdités que nous avons connues. Pour autant, il faut plutôt penser à l'améliorer plutôt qu'à le quitter. J'aime l'Algérie et me sens heureuse ici sur le plan personnel, mais j'aurais voulu plus de stimulation intellectuelle chez moi et pas ailleurs. Et puis, je juge que les femmes n'ont pas la place qu'elles méritent et souhaiterais qu'on les respecte davantage.”
Ammi Achour, l'artisan désabusé “Leblad hachaha, c'est les gens qui sont mauvais !”
Ammi Achour, 70 ans, est menuisier de son état. Un crayon à l'oreille, il vaquait cahin-caha à son ouvrage quand nous avons fait irruption dans son vieil atelier niché en Haute-Casbah. “L'Algérie ? Qui n'aime pas l'Algérie ? Hacha leblad, ce sont les gens (el îbad) qui sont mauvais”, assène-t-il. “Les jeunes ne veulent plus rester en raison de la situation. Mon fils est parti à Londres voici 14 ans à cause du terrorisme. 14 ans que je ne l'ai pas vu ! Notre situation laisse à désirer. Les artisans de La Casbah sont en train de disparaître les uns après les autres dans l'indifférence générale. Il n'y a plus de commandes, plus de travail. Pendant un bon moment, il n'y avait plus de clients. Tu leur parles de La Casbah, ils te disent ya latif ! Et avec ça, on vient de me foudroyer d'une facture de 150 millions d'impôts à payer. D'où est-ce que je vais les ramener, moi qui suis au bord de la cessation d'activité ? J'ai huit bouches à nourrir, “el medkhoul, idjib
rabbi”. L'Etat ne nous aide pas. On a connu le pire du temps de la France, “s'ra fina el mounkar, et on n'est pas près de voir le bout du tunnel”. Comment voulez-vous vivre dans ce pays ? Le zaouali ne peut pas aimer ce pays. Il n'y trouve pas sa place. Si l'Etat n'aide pas les artisans à se relever, ne baisse pas les impôts, s'il n'augmente pas la paie des travailleurs, “ma naklouch al khobz”. D'ailleurs, aucun de mes fils ne veut perpétuer ce métier !”
Abdelkader, un regard plein de tristesse “Ceux qui délaissent La Casbah n'aiment pas l'Algérie !”
Casbah toujours. Cette fois, nous sommes au 18, rue Hocine-Bourahla, près du tombeau de Lalla N'fissa, dans une superbe maison traditionnelle, une douira de l'époque turque. Le maître de céans, Abdelkader, 59 ans – dont 32 passés comme chauffeur de grandes lignes au sein de la SNTV – voit sa maison s'effriter d'un regard impuissant. Pour lui, c'est ça son Algérie : cette magnifique bâtisse turque sur les murs de laquelle sont gravés quelque quatre siècles d'histoire. Un véritable musée. “Cette maison est censée être un patrimoine national. Pour moi, c'est ça l'Algérie. J'ai demandé de l'aide pour la restaurer, on m'a exigé 200 millions. Ces gens-là ont-ils de l'amour pour leur pays, je me le demande ? Avec le dernier séisme, la bâtisse peut craquer à tout moment. Si la maison tombe, c'est un pan de notre mémoire collective qui tombe. La Casbah n'est pas l'âme d'Alger, La Casbah c'est Alger. Et regardez dans quel état elle est. Elle tombe en ruine dans l'indifférence générale. Comment aimer son pays avec des gens pareils ?! Autrefois, ma mère bravait le couvre-feu pour faire accoucher les femmes enceintes en allant de “stah” en “stah”. Tous les mômes de La Casbah de l'époque ont vu le jour dans ses mains. Sur cette terrasse, ils ont tué deux gars lors de la grève des huit jours. Quarante ans après, nous sommes toujours en danger de mort. Nous n'avons pas encore goûté à l'indépendance !”
Mustapha, un “akhina” patriotique “Houb el watan mina el iman”
Mustapha, 24 ans, barbe et qamis de rigueur, est vendeur de survêtements chinois à Bab El-Oued. Pour lui, la question de la patrie est affaire de religion : “L'amour de la patrie découle directement de l'amour de la religion. Il n'y a pas de bien en pays impie (bilad el kofr). Ceux qui disent “n'rouh n'dir etaouil” ont tort. Les jeunes doivent faire preuve de patience et d'endurance. Il n'y a rien de bon en Occident. Mais en retour, le “nidham” doit fournir les conditions d'une vie décente pour tous. Les gouvernants ont pour obligation de créer des postes d'emploi, du logement… Moi, j'aurais aimé me marier jeune. Ce n'est pas seulement pour des raisons sexuelles, mais pour élever une génération musulmane (jil mouslim). Dans la société occidentale, tes enfants ne t'appartiennent pas. Même si tu convertis ta femme à l'islam, l'influence de la société reste forte. L'individu est bâti sur ses origines, et le fondement de nos racines, c'est incontestablement l'islam”.
Mustapha bis, l'Algérien dans toute sa tendresse “Si la France revenait…”
Mustapha Bouchama. 40 ans. Célibataire. Chômeur. Une tête de junkie. De “mezvingui”. Habillé en haillons. On pourrait croire qu'il a pété une durite mais sa générosité, sa tendresse, rattrapent largement ses (délicieux) égarements psychotiques. Assis sur le rebord d'une gargote, il insiste d'entrée à nous offrir un sandwich “garantita”. Encore un verre Hamoud Selecto “men ândi”, insiste-t-il derechef, lui qui n'a pas un sou. “Après, après, je te paie”, lance-t-il en direction du serveur, refusant catégoriquement que nous réglions la note. “C'est un pote” ; “une cigarette m'sieur ?” reprend-il. Tout le quartier l'adore. “J'habite au 6e étage. Besoin de quelque chose, venez chez moi, d'accord ?” “Ça fait 15 ans que je chôme. J'étais mécanicien à la SNTR. J'ai trois frères et deux sœurs. C'est ma mère qui me donne de l'argent de poche. Je ne veux pas me marier. Le mariage ? Alatif ! C'est la voie de la miziria !” confie notre ami. Et de pester contre les “sales arabes” de son quartier : “L'Algérie, bekri, l'Algérie. Bab El-Oued, c'est avant. C'est devenu “qoriche”. Bab El-Oued a changé, klaouha el kavia…. Ouled sidna aïssa oui. Les fils de Jésus sont comme ça (en brandissant le pouce). Quant à ces gens-là, les Algériens, les Arabes, ils sont pires que les mécréants. À longueur de journée “qal allah qal errassoul” et ils font les pires saloperies. “Elli idji iqoul ana moudjahid”. N'importe qui s'improvise moudjahid. Les Arabes sont sales, hypocrites… Moi, je ne suis ni houkouma ni FIS. Tous pareils. Le GIA est monté pour de l'argent. Si je trouve le moyen de partir, adieu l'Algérie ! Si la France revenait, ça serait super ! Ouled sidna Aïssa sont comme ça ! bien !” Avant de le quitter, Mustapha nous gratifie encore de ses bienfaits. Il entre dans une boulangerie et revient avec deux gâteaux. Puis va chez un épicier et achète une bouteille d'eau minérale, du chocolat et un paquet de chewing-gum. “Tiens mon ami. Ça, c'est pour toi (chocolat et chewing-gum) et ça pour ta mère.” Un concentré d'Algérie sentimentale dans le sac, une larme s'écrase à l'intérieur de moi.
C'est énorme !
Enorme !
Sacrée balade !
Sacré Mus !...
M. B.


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