- Le gouvernement prône la décentralisation à travers le nouveau projet de loi relatif à la commune, mais beaucoup d'observateurs remettent en cause cette affirmation. Après avoir pris connaissance du texte, quel est votre avis ? L'article 16 de la Constitution fait de l'Assemblée communale l'incarnation même de la décentralisation et le lieu de participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Par définition, la décentralisation est l'attribution de pouvoirs de décision à des organes distincts de l'Etat et de ses agents en leur conférant une personnalité juridique séparée et en leur donnant les ressources nécessaires aux fins de s'auto administrer. De par son mode de naissance -l'élection- l'APC est l'organe par excellence qui se prête à ce type d'organisation. Or, le projet présenté à l'APN entend soumettre à l'accord préalable du chef de daïra et du wali la plupart des actes du maire et des délibérations de l'Assemblée élue. Nous ne sommes plus en présence d'un simple et légitime contrôle. C'est une annexion hiérarchique d'une autorité censée être autonome par des fonctionnaires étrangers à une localité et désignés à des centaines de kilomètres par le pouvoir central sur des élus du peuple enracinés parmi leurs concitoyens. C'est le choix des concepteurs du projet. Chacun sait par ailleurs que la quasi-totalité de nos communes sont dépourvues de ressources propres et donc tributaires du bon vouloir de subventions étatiques aléatoires jamais suffisantes, ni connues et/ou reçues à temps pour permettre aux élus de programmer correctement leurs actions. Du point de vue du pluralisme, en donnant le droit à toute liste qui acquiert 30% et plus de voix (art 69) le droit de présenter sa candidature au poste de Maire, ce projet risque d'éradiquer les partis de l'opposition de toute responsabilité municipale par la systématisation d'un stérile «tahallouf» (coalition) organique des partis du pouvoir comme dans le Parlement. Ce texte est inspiré d'une philosophie centralisatrice anachronique eu égard aux évolutions démographiques, culturelles, économiques et sociales du pays. Il s'inscrit dans une démarche de normalisation politique destinée à faire récupérer par le pouvoir central et son sérail politique inchangé depuis 1962 tous les acquis issus de la Constitution de 1989. Il complète parfaitement l'insignifiance à laquelle ont été réduites l'APW et l'APN. Les auteurs du projet entendent garder la main sur toutes les décisions et les affaires publiques par-delà un multipartisme mal accepté même à l'état factice auquel l'ont réduit ses aléas internes et externes. Il est symptomatique de constater que le P/APC du parti unique de 1967 et de 1988 avait plus de prérogatives que celui d'aujourd'hui qui a perdu même la décision sur les demandes de logement de ses électeurs. Campé sur sa certitude d'être la seule tutelle «patriotiquement» valable pour les affaires du pays, le régime n'arrive pas à dépasser le traumatisme de l'épisode des APC – FIS. - Le Premier ministre a déclaré l'année dernière que les communes doivent pouvoir assurer leurs propres revenus. Cela vous semble-t-il faisable ? Ca n'a pas de sens du moins en l'état actuel des choses. Pour cela, il aurait fallu, dès l'origine, ne créer de commune que là où elle est viable économiquement. Il aurait fallu créer et surtout autonomiser une fiscalité locale par une réforme financière annoncée et attendue depuis des lustres. Il aurait fallu trancher la question des communes qui regorgent d'activités économiques florissantes sur leurs territoires et qui voient la fiscalité de leurs opérateurs échoir à de riches communes de la capitale ou de chef-lieux de wilaya par la règle du siège social de ces sociétés. Avec un taux de chômage de 80% environ, ma propre commune, Ahnif (Bouira), possède un gisement de gypse de plusieurs dizaines de millions de tonnes dont les recettes fiscales ne profitent qu'à la commune voisine. Les communes abritant des barrages sur leurs territoires sont toutes dans le même cas de figure. Il aurait fallu, de manière générale régler la question des déséquilibres régionaux et celle de la répartition inégalitaire de l'argent de la rente pétrolière. - Les communes ont toujours eu des problèmes de moyens financiers, en dépit des dotations budgétaires de l'Etat. Comment expliquer ce déficit chronique ? Je vous l'ai dit, les décisions de création de Communes ont reposé sur une motivation essentiellement politique et administrative. Quels que soient leur volume, les subventions sont toujours insignifiantes par rapport à l'ampleur des besoins eu égard aux évolutions notamment démographiques, à la non maîtrise du management des projets, etc. Il ne faut pas sous-estimer l'ampleur des retards en matière d'infrastructures. Ce n'est que depuis l'embellie pétrolière du début des années 2000 qu'il y a reprise de l'action de développement local. Sans oublier les raisons fiscales et financières déjà citées. - Y a-t-il des mesures dans le nouveau texte qui apportent des solutions à ce problème et comment peut-on diversifier et multiplier les ressources financières des communes d'autant plus qu'on parle beaucoup de la réforme de la fiscalité locale ? Ce texte à connotation très administrative se présente comme un dispositif provisoire en attendant les réformes électorales et fiscales. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les représentants du gouvernement. Et Dieu sait ce que peut durer le provisoire chez nous. Le projet tourne surtout autour de la soumission hiérarchique de l'APC au wali et autour des conflits internes à l'assemblée multipartiste. Il n'apporte pas de nouveau en matière de financement et pour cause, il s'agit d'un domaine relevant de la loi de finances. Bien au contraire, le texte alourdit la gestion des ressources propres de la commune en multipliant les contrôles préalables des actes de gestion y afférents. S'il s'agissait de créer des ressources nouvelles à la commune, outre ce que je vous ai déjà dit, il faut rendre transparent à tous les Algériens le contenu et les mécanismes du FCCL (fonds commun des collectivités locales) qui fonctionne actuellement comme une chambre noire à la discrétion du pouvoir central. Pour le reste, il faut décentraliser toute la gestion de l'Etat, ses ressources financières, créer les régions qui seront de puissants moteurs pour le développement local comme l'expérience l'a prouvé dans d'autres pays. Nos voisins immédiats y viennent. Il faut faire confiance aux citoyens, ils sauront mieux que le pouvoir central gérer et contrôler l'argent public parce que tout simplement plus proches de leurs affaires.