Pour le 51e anniversaire de la mort du colonel Lotfi, du commandant Farradj et de trois de leurs compagnons, célébré hier à Béchar, Mme Méchiche Fatima, veuve du chahid Lotfi, mais également veuve de Mohamed Khemisti, jeune ministre des Affaires étrangères assassiné en avril 1963, a fait des révélations fracassantes sur les circonstances de ce meurtre jusqu'ici obscures pour une grande partie de l'opinion algérienne. La veuve, élue députée à l'Assemblée algérienne de l'époque, revient 50 ans plus tard sur ce chapitre sombre, non encore élucidé de l'histoire de l'Algérie post-indépendante inaugurée par un cycle de liquidations physiques des hommes politiques algériens. Pour Mme Méchiche, la plaie est encore ouverte et le souvenir toujours vivace du douloureux événement que ni le temps ni le poids de l'âge, encore moins les deux épreuves qu'elle a subies (la mort de Lotfi puis la disparition du brillant diplomate) n'ont pu cicatriser sa souffrance et altérer sa volonté de connaître la vérité. La voix entrecoupée de sanglots, elle continue à dénoncer ce qu'elle appelle la version officielle des faits présentée par l'ancien régime qui s'obstine à accréditer, dit-elle, la thèse «de l'assassinat du ministre des Affaires étrangères pour un mobile de droit commun». Pour l'ancienne députée, il ne fait pas l'ombre d'un doute que «Mohamed Khemisti a été assassiné pour des raisons politiques». «Mon défunt mari m'avait confié, furieux, quelques jours seulement avant sa mort, qu'il avait l'intention de démissionner du gouvernement à cause d'un profond désaccord avec le régime de Ahmed Ben Bella», confie-elle. Et d'ajouter : «Le désaccord entre les deux hommes portait sur le choix des grandes orientations idéologiques choisies par l'Algérie et auxquelles s'opposait avec force le ministre.» Après avoir prononcé un discours devant l'Assemblée algérienne, il a été assassiné par balle devant le siège de l'illustre organe représentatif du peuple, le 11 avril 1963. Selon elle, le meurtrier arrêté a été retrouvé pendu dans sa cellule à la veille du coup d'Etat de juin 1965, et Mme Méchiche s'insurge contre le mensonge d'Etat. La fille du colonel Lotfi, diplômée de l'université de Boston (USA), présente aussi à la commémoration, rejette également les circonstances «avancées» dans lesquelles sont survenues la mort de son père et aussi celle de Mohamed Khemisti. Elle soutient que le peuple algérien ne peut se suffire de la thèse de la version officielle pour l'écriture d'une histoire crédible et objective du pays. En 2010, elle a publié à l'étranger un livre sur l'ancien dirigeant de l'ALN, intitulé Lotfi, plus qu'un symbole, un homme, ouvrage dont la version en arabe est en cours de traduction, traitant sur les diverses facettes du héros, de son amour pour la littérature, des droits de l'homme et de sa révolte contre les injustices. «Après des recherches sur sa vie, j'ai découvert que mon père avait un principal souci : celui de passer le flambeau à d'authentiques moudjahidine qui ont dignement et vaillamment illustré l'amour de la patrie», déclare l'universitaire. Il y a lieu de signaler que la cérémonie de recueillement à la mémoire du colonel Lotfi et de ses compagnons s'est déroulée en présence des membres de la famille des défunts, de représentants de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), de la Coordination des enfants de chouhada (CNEC), d'invalides de guerre et de condamnés à mort ainsi que d'anciens du MALG et de nombreuses personnalités civiles et militaires.