Qui ne se souvient pas des personnages de Bouzid et Zina, celle qui, pour échapper à un mariage imposée, prit la fuite et rencontra sur son chemin ce «Besbassi» dont elle ne se séparera jamais. La rencontre de ce duo légendaire, lui en gandoura immuable, elle en haïek m'rama (voile en soie pure) et sarouel shelka (pantalon à fentes), à petit pois, dévoilant discrètement ses jambes, se fera non loin de Oued Tchicha, douar de Zina, mais Bouzid est un aventurier et ne se mariera jamais avec la «bombe dialou». Le père de ce couple, hors normes, réfractaire à toutes les hypocrisies, aux tabous, intrépide, traquant l'injustice, flanqué en permanence de ce «gat m'digouti» (le chat dégoûté) est Slim, celui qui a su dépeindre, comme nul autre pareil, à toute une génération de lecteurs à l'affût, les tribulations de ce duo va-t-en-guerre. Ce bédéiste, pince-sans-rire, hôte vendredi soir du Centre culturel algérien (CCA), est longuement revenu, non sans humilité, sur son parcours d'artiste, de caricaturiste et de cinéaste d'animation, qui a fait preuve d'une exceptionnelle subtilité pour brosser à ses lecteurs une fresque de l'histoire de l'Algérie indépendante, à travers les pérégrinations hilarantes de Bouzid et de sa tendre et violente Zina. De son vrai nom, Menouar Merabtène, Slim, qui a contribué à créer l'âge d'or de la bande dessinée algérienne, née au début des années 1960, a rappelé que ses dessins, d'abord publiés dans la presse algérienne, ont été réunis sous la forme d'albums, dont le premier, Moustache et les frères Belgacem, est sorti en 1968. Il sera suivi de Chkoune kidnapali Zina diali (1974), Zid Ya Bouzid (tomes 1 et 2) 1980, La boîte à chique (BAC) (1989), Il était une fois Rien (1989), Bouzid et le vote (1991), Le Monde merveilleux des barbus (1995), Aïnterdit (1996), Retour d'Ahuristan (1997) et Walou à l'horizon (2003). «Au début, je voulais faire du cinéma, puis le hasard a voulu que je rencontre des bédéistes, notamment Maz, et c'est ainsi que je me suis consacré à la BD», a-t-il confié au public, soulignant que la rue est sa muse et ses répliques, son répertoire. «J'ai créé des personnages algériens pour mon pays, mais je suis avant tout un dessinateur qui raconte des histoires censées faire sourire et réfléchir», a expliqué Slim. «Je me suis souvent inspiré de scènes dont j'ai été témoin dans la rue, ainsi que de la vie quotidienne des gens pour donner vie à mes personnages», a-t-il dit, et que trouver mieux pour raconter avec dérision, la société, ses mœurs, ses dérapages mais aussi ses espoirs, que Slim a fait porter à ses personnages principaux comme autant d'oriflammes. Tendre et cruel à la fois, il n'a jamais cessé d'impressionner ses lecteurs assidus par sa probité et le regard sans concessions qu'il portait sur certains parjures et certaines vérités sociales. Durant les années 1980, l'hebdomadaire Algérie actualité publiait une page de bandes dessinées qui relataient, sans complaisance aucune mais non sans humour, le quotidien des Algériens sous le crayon corrosif de Slim. L'avènement de la presse privée lui a également donné l'occasion de s'exprimer à travers l'hebdomadaire satirique El Manchar, créé avec un groupe de dessinateurs et bédéistes. Le succès de la démarche fut tel que l'hebdomadaire devient très vite incontournable dans le champ médiatique de l'Algérie pluraliste. L'avènement de la décennie noire et les multiples assassinats d'intellectuels, d'artistes et de journalistes, qui ont endeuillé le pays, l'ont toutefois conduit, comme tant d'autres, à quitter l'Algérie. Il s'installera en France où il continuera à produire régulièrement des albums aussi tordants les uns que les autres. Slim a également collaboré dans de nombreux journaux et magazines internationaux dont le journal L'Humanité de 1995 à 1997. Il contribue régulièrement aussi à la création artistique de campagnes publicitaires pour de grands groupes mondiaux. Il a en outre à son actif des films d'animation, dont Galal, Gasba et dinars, Bouzid et la superamine et Bouzid et le train.