Les ménages algériens vont améliorer leurs revenus en 2011. Le contre-ajustement structurel est en marche. Puisque le gouvernement reconnaît avoir reculé devant les «barons de l'informel», il va rendre gorge devant la détresse des démunis. Salariés et chômeurs. La demande solvable, rabotée entre 1994 et 1998, à un moment où le front social était pris à revers par la guerre civile, se redresse donc. Beaucoup plus vite depuis le début de l'année. Choix tactique des décideurs. La crise n'est pas politique, elle est seulement sociale. Conséquence, tout le monde peut revendiquer d'améliorer sa situation, les guichets sont ouverts. Réaction populaire légitime. Elle donne lieu à une extraordinaire flambée de mouvements sociaux. Au traitement toujours budgétaire, en dernière instance. Puisqu'il n'y «a pas de crise politique». Cette correction en cours de la distribution du revenu national est une mauvaise nouvelle pour la théorie économique néo classique. En gros, pour le point de vue libéral dominant. Elle va, en l'absence d'élasticité de l'offre et de bond de la productivité du travail, créer des pressions inflationnistes, tirer le dinar encore plus bas sur le marché «secondaire», profiter aux importations. Les scrutateurs de l'orthodoxie pensent même que les premiers effets collatéraux du gonflement de la masse monétaire sont déjà là. Le rythme annuel de l'inflation est en train de monter vers la barre symbolique des 5%. Le dinar s'est effondré face à l'euro et même au dollar sur le marché parallèle, l'euro étant à plus de 140 DA depuis, fait sans précédent, une quinzaine de jours. Tandis que le trend des importations est reparti à la hausse après la pause de 2009. Bien sûr, il est possible d'opposer à cet alarmisme de gros épargnant nanti en dinars, une contre lecture point par point. L'inflation n'est, après tout, pas si haute dans un pays qui a des dépenses d'investissements du niveau de ceux de l'Algérie. Le marché parallèle est d'abord un problème technique où la rareté de l'offre de devises pèse sur la parité du dinar autant que les excédents de l'offre en dinar. Les importations sont dopées par les commandes des plans publics bien plus que par la consommation finale des ménages. L'avenir pondérera théorie et contre-théorie. Mais dans l'intervalle, le ministre des Finances, Karim Djoudi, préfère la méthode Coué. Il s'auto-rassure en misant sur une reconstitution du fonds d'épargne des ménages. Les revenus additionnels, qui sont venus ou qui vont venir au fur et à mesure des grèves de 2011, iront, selon lui, financer l'épargne pour l'acquisition de logements. Et pas la consommation de biens et services à cycle court. Le pronostic optimiste du ministre des Finances peut être juste. Ou faux. Il ne s'appuie sur aucun modèle prospectif. Le gouvernement est dans l'urgence. Comme toujours. Abdelatif Benachenhou, ministre des Finances en 2003, affirmait que les augmentations de salaires – réclamées dans la Fonction publique – allaient engraisser les partenaires commerciaux de l'Algérie. Car l'appareil de production nationale n'était pas en mesure de profiter de ce surcroît de revenus disponibles chez les ménages. Huit ans plus tard, l'incantation est toujours aux manettes. Pour Karim Djoudi, ce ne sont pas les exportateurs turcs et chinois, mais la CNEP et les promoteurs immobiliers, bien de chez nous, qui capteront les milliards de dinars des augmentations en cours. Entre Abdelatif Benachenhou 2003 et Karim Djoudi 2011, une continuité tout de même. Le second admet implicitement comme le premier – qui le disait explicitement - que l'offre des biens et services algériens n'est pas en course pour profiter du réajustement des revenus domestiques. Après l'embellie des revenus de l'Etat, arrive donc, par la guérilla sociale, l'embellie des revenus des agents de l'Etat. Et c'est aussi une bonne nouvelle, pour une autre école de la pensée économique. Elle n'est pas forcément de gauche. Même pas Keynésienne. Juste réaliste. Les ménages algériens feront, dans tous les cas, meilleur usage de ces revenus que Ahmed Ouyahia, fil conducteur, lui et le président Bouteflika, de ces années de gabegie. Quelqu'un en doute au fond de la salle ?