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De la VIIe Wilaya au Haut Comité d'Etat
Ali Haroun. Avocat, ancien ministre, ancien membre du HCE
Publié dans El Watan le 21 - 04 - 2011

«J'ai toujours pensé que si l'homme qui espérait dans la condition humaine était un fou, celui qui désespérait des événements était un lâche». Albert Camus
L'accoutrement et la courtoisie dignes d'un gentleman anglais, le regard attentif, cet avocat de 84 ans s'est forgé une solide cuirasse à travers un itinéraire mouvementé, dominé beaucoup plus par l'action militante sur les fronts politiques que dans les prétoires. Il a été au PPA-MTLD, au FLN, et lorsqu'il a constaté de graves dérives durant l'été de la discorde, thème d'un de ses livres, au sein du sérail, il s'est tout simplement éclipsé au lendemain de l'indépendance. Il ne reviendra à la scène politique que trois décennies plus tard, en occupant brièvement le ministère des Droits de l'homme. Il sera au cœur du pouvoir décisionnel au lendemain de la démission de Chadli. Ce docteur en droit a conservé l'allure d'un adolescent récalcitrant, même si les années ont creusé leurs sillons dans ce visage toujours en alerte.
De son enfance à Alger, de ses études à Paris au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, de ses années de militance, de son passage au sommet de l'Etat, Ali nous parle longuement en épousant l'air du temps — car dans son discours on sent réellement qu'il n'est pas décalé dans ce monde en perte de valeurs et de repères. «Mes parents habitaient La Casbah. Mon père Mouloud, simple ouvrier, né à Médéa, avait quitté cette ville au début du siècle dernier pour s'installer à Alger. Les Haroun sont originaires de Kalaâ des Beni Abbes.» La kalaâ ? «La kalaâ, c'est la géographie au secours de l'histoire», écrivait Mahfoud Kaddache. Une rencontre qui se répète souvent dans les moments de résistance du pays et qui donne lieu à bien des légendes. Le grand moment pour la kalaâ, c'est la rencontre Ottomans-Espagnols à Béjaïa en 1512, et la prise de la ville par les premiers deux années plus tard.
Les Beni Abbes, comme d'ailleurs les troupes d'un autre souverain kabyle, le roi de Koukou, participent au combat et sortent grandis de cette alliance avec les Ottomans contre les chrétiens espagnols. En 1520, les Beni Abbes se révoltèrent avec, à leur tête, Ahmed Amokrane, éponyme d'une famille qui s'illustra dans la résistance algérienne et dont le denier héros, El Mokrani, repose dans le cimetière de la kalaâ.
Enfant d'El Mouradia
Ali peut sans discontinuer vous raconter l'histoire de cette citadelle imprenable, fief du premier roi de Bougie qui s'était replié dans cette contrée et dont l'un des canonniers s'appelait Haroun, patronyme de la fière lignée dont est issue la famille. Les Haroun s'installèrent au début du siècle denier à La Casbah, mais se fixèrent à La Redoute (El Mouradia) où est né, en 1927, Ali. C'est ainsi que la scolarité fut entamée à l'école du Boulevard Bru, poursuivie à l'école Chazot et enfin au collège du Champ de Manœuvre pendant deux ans. Le débarquement américain durant la Deuxième Guerre mondiale et les bombardements qui suivirent ont largement perturbé le parcours d'Ali, qui sera élève au lycée Guillemin, à la rue du Soudan, derrière Ketchaoua, au lycée Bugeaud et enfin à l'actuel Omar Racim, où il décrochera son bac en 1946. Il fera deux années de droit à Alger, qu'il poursuivra à Paris.
«J'y ai trouvé un emploi de gratte-papier qui me permettait de financer ma scolarité achevée à Panthéon Sorbonne avec une licence, un CAPA et un doctorat.» Il exercera en qualité d'avocat durant l'année 1954. A 42 ans, en 1969, il décrochera son second doctorat. «A cet âge et après une longue interruption, il fallait de l'abnégation et une sacrée dose de courage pour se ‘‘refamiliariser'' avec les amphis…», constate-t-il. A Paris, se souvient-il, «nous étions proches de Messali qui devait recevoir en 1952 les délégués arabo-asiatiques siégeant à l'ONU, basée à l'époque dans la capitale française. Avec les étudiants, nous devions préparer une grande manifestation en rapport avec cet événement. J'ai milité avec Saïd Slimi, membre du PPA-MTLD, délégué syndical chez Renault. Nous allions dans les cafés fréquentés par les Algériens pour distribuer des tracts et L'Algérie libre. Slimi était un exemple merveilleux. C'est avec lui et grâce à lui que je me suis impliqué dans la politique. Imaginez-vous, le soir après une journée harassante à l'usine, Slimi venait propager la bonne parole politique avec une ardeur et une conviction jamais démenties. C'est là que j'ai pris conscience en intégrant le Parti et en continuant à militer après le déclenchement de la lutte armée.»
Du PPA-MTLD au FLN
«Dans ce cadre, nous avons été amenés à nous rendre à Madrid pour prendre attache avec les responsables du FLN. Là, je rencontre presque incidemment Yousfi M'hamed par l'intermédiaire de Allal Taâlbi. Yousfi nous met en contact avec Ben Bella, Debaghine et Boudiaf. Ce dernier me suggère de partir au Maroc ex-espagnol, précisément à Tetouan et de l'attendre. Je l'ai attendu quelque temps et lorsqu'il est sur place, il me charge de diriger le journal Résistance algérienne. Au départ, nous étions trois : Mahiedine Moussaoui, Salim Bouzaher et moi-même. Nous travaillions sous la direction de Boudiaf. Et lorsque l'avion transportant les cinq leaders du FLN dont Boudiaf avait été arraisonné, nous volions de nos propres ailes. En mai 1957, Abane et Dehiles sont venus à Tetouan et avaient décidé de tout transférer à Tunis. Ce qui fut fait. Ce n'était plus des tracts de 4 pages, mais un journal tiré sur rotative qui s'appellera El Moudjahid.
J'y étais avec Frantz Fanon, Réda Malek, Abdelli, Salim, Mahiedine... Lors de l'épisode Sakiet Sidi Youcef, je reçois un message du Caire, où était établie la direction du FLN, me sommant de rejoindre Madrid. Là, je rencontre Omar Boudaoud qui m'annonce ma mutation au sein de la Fédération de France du FLN, dont la direction se trouvait en fait en partie en France et en partie en Allemagne». Ali Haroun y sera membre dirigeant avec Omar Boudaoud, Abdelkrim Souici, Kadour Ladlani et Saïd Bouaziz jusqu'à l'indépendance. Au titre de dirigeant de la VIIe Wilaya, il est membre du Conseil national de la révolution algérienne (1959-1960) et plus tard, en 1962, député d'Alger à la constituante. «Nous étions 21 à nous abstenir pour la désignation de Ben Bella à la tête de l'Etat. La plupart ont été éliminés lors de la seconde assemblée. Nous étions convaincus que l'Algérie était mal partie. Pourquoi ? Parce que le FLN a toujours fonctionné sur la base du consensus au niveau du CNRA qui ne s'est jamais achevé sur une mésentente.
La première fois où il s'est séparé sur une fracture, c'était lors du dernier CNRA de Tripoli auquel ont assisté les 5 détenus ! Il y avait déjà une mésentente entre Ben Bella et Khider, d'une part, et entre Boudiaf et Aït Ahmed, d'autre part. Il y a eu une fracture à partir du moment où la direction suprême du FLN était divisée. Aucune des parties n'avait le droit d'accaparer le parti. Pour moi, le FLN est bien mort le 6 juin 1962. Le mauvais départ s'explique aussi par le fait que le FLN de l'époque devait mettre l'Algérie sur les rails en s'inspirant de la philosophie du consensus hérité de la guerre ; en laissant le temps aux partis de se constituer et aux sensibilités de s'exprimer. Ce qui n'a pas été fait, poussant l'Algérie à démarrer sa vie indépendante à cloche-pied. On savait de toute façon qu'on n'allait pas trop loin !»
Ali était persuadé qu'on était mal partis et que tôt ou tard la manière dont ceux qui s'étaient emparés du pouvoir en 1962 ne pouvait donner lieu à la naissance d'une Algérie unie dans des perspectives communes. Peu après l'indépendance, Ali divorcera d'avec la politique. Il s'éclipse totalement de la scène pour se consacrer à son cabinet d'avocat. Son retour coïncide avec le vent des réformes qui a soufflé sur l'Algérie au début des années 1990. C'est durant cette période qu'il a été ministre délégué aux Droits de l'homme, une première en Algérie et dans le monde arabe, mais qui, hélas, n'a jamais été renouvelée. «Il est vrai que la création du ministère des Droits de l'homme venait à son époque parce que, aussi bien Sid Ahmed Ghozali que moi-même étions persuadés que si l'Algérie avait acquis son indépendance, le citoyen n'avait que des droits virtuels. Alors que ce qui est essentiel après l'indépendance et ses objectifs pour lesquels on s'est battus, c'est que le citoyen dispose de sa liberté et de sa capacité à participer à la gestion du pays. C'était ça notre objectif.
Après, on a estimé que peut-être le ministère n'était pas la bonne formule parce qu'un ministre est nécessairement solidaire de la politique de son gouvernement. Or, il semble difficile qu'un membre du gouvernement soit le censeur de ses collègues.» Méticuleux sur les événements et les dates, Ali égrène d'une manière très détaillée les faits qui ont marqué son parcours dont le point d'orgue a sans doute été sa désignation au sein du Haut Comité d'Etat créé après le départ précipité de Chadli. Durant cette période troublée et tourmentée, Ali dit avoir fait ce qu'il a pu, dans un contexte explosif, même s'il a essuyé une volée de bois vert et des critiques acerbes des islamistes qui l'avaient taxé «d'éradicateur».
Un droit de l'hommiste convaincu
Les droits de l'homme étant à des niveaux divers bafoués, Ali pense que : «Nous aurions dû avec toutes les expériences vécues parvenir à un plus grand respect de ces droits, de la liberté d'expression et des libertés collectives...» Evoquant la loi de février 2005, votée par le Parlement français, relative au rôle positif du colonialisme dans les anciens départements français, où il se serait limité à des missions civilisatrices, l'avocat qu'il est fustige les exactions commises par l'occupant français. «Le colonialisme, c'est une chose, le peuple français c'en est une autre ! N'oubliez pas que beaucoup de Français se sont mis du côté de la justice et ont épousé notre cause. Ceux-là, il faut leur rendre un hommage appuyé. Quant à l'occupation de l'Algérie, on n'envoie pas en 1830 une armée de 30 000 hommes et une flotte de 600 navires pour tout simplement aller civiliser un peuple qui au demeurant ne leur a rien demandé.» Ali ajoute avec une pointe d'humour : «Comme il y a des dégâts collatéraux, il y a aussi des avantages collatéraux. Lorsque le colonialisme a construit des infrastructures et des routes, il ne l'a pas fait pour les beaux yeux des autochtones. Naturellement, les Algériens ne pouvaient qu'en profiter.»
Comme beaucoup de ses pairs, Me Haroun estime que l'écriture de l'histoire est une nécessité, seulement la langue de bois qui a sévi de longues années durant a occulté une grande partie de notre histoire. «A un moment, on a axé uniquement sur la guerre de libération et on a ‘‘héroïsé'' les événements qui ont marqué cette période. Certes, la guerre de libération a été une épopée pour ceux qui l'ont vécue, mais il ne faut pas oublier qu'elle a été faite par des hommes avec leurs qualités extraordinaires mais souvent avec leurs défauts à la mesure de leurs qualités.»
Dans son dernier livre L'éclaircie : promotion des droits de l'homme et inquiétudes, Ali retrace la période durant laquelle il a officié au sein du ministère des Droits de l'homme entre 1991 et 1992. La situation n'a pas beaucoup évolué depuis. Le contexte mondial a, lui, changé et le monde arabe particulièrement est secoué par un vent de révoltes. Son sentiment : «Je pense que la vague qui déferle sur tout le monde arabe, tôt ou tard, plutôt tôt que tard, va toucher l'Algérie. Je pense que ceux qui disent que l'Algérie n'est ni la Tunisie ni l'Egypte font une analyse sommaire de la situation.»


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