Après une longue absence, elle revient sur scène au pays et, ici, sur ses souvenirs, ses visions et ses projets. - Vous avez récemment donné un concert au prestigieux Carnegie Hall de New York... Je me suis produite en février dernier dans ce lieu mythique, suite à une sélection rigoureuse du World Music, un organisme qui, comme son nom l'indique, travaille sur les musiques du monde. Le Carnegie Hall est un temple mondial de la musique. Pour tout artiste qui frôle cette scène, c'est la consécration. Je me suis dit que ça l'était aussi pour moi après plus de trente ans de travail. J'ai donné le meilleur de moi-même en Algérie et à l'étranger et ce, depuis mon enfance. J'ai dédié ce concert aux femmes algériennes qui ont toujours été debout et sur tous les fronts. Je l'ai dédié aussi à mes maîtres qui m'ont transmis les secrets de leur art avec générosité et passion. Mais j'ai été déçue que l'information n'ait pas été répercutée dans nos médias, si ce n'est dans votre journal (Arts et Lettres, 22 janvier 2011). N'est-ce pas important pour le public de savoir qu'une artiste algérienne se produit au Carnegie Hall ? - Vous occupez beaucoup plus la scène étrangère qu'algérienne, est-ce un choix ? Je suis ravie que vous me posiez cette question. A l'époque, en 1979, il n'était pas évident de chanter une nouba entière. Plusieurs maîtres étaient conscients qu'il n'y avait pas de voix féminines, et ils espéraient, de leur vivant, voir les choses évoluer. Je me suis toujours demandé pourquoi j'étais marginalisée dans mon pays, pourquoi les institutions culturelles nationales ne me sollicitaient pas, pourquoi je suis programmée dans de nombreux festivals du monde et pas dans mon pays ? Il y a 122 festivals institutionnalisés en Algérie. Je suis absente de la scène artistique, non pas parce que je ne veux pas venir, mais simplement parce qu'on ne m'a pas fait appel. Je n'ai jamais été sollicitée pour le festival des musiques anciennes ni celui de la musique andalousienne. A ce propos, je n'ai jamais entendu parler du terme «andalousienne»… En toute modestie, je suis une ambassadrice de la musique andalouse algérienne, depuis les années 1970 à ce jour. Je continue à œuvrer dans le monde pour donner le plus beau visage de l'Algérie et de sa culture. - Vous avez participé, il y a peu, au Festival de hawzi à Blida, est-ce un prélude à un retour sur la scène artistique algérienne ? Disons que c'est un retour aux sources. J'ai fait l'ouverture officielle de ce festival en mars dernier, c'était un moment très fort pour moi, empli de bonheur et d'amitié. Cela fait des années que je n'ai pas chanté à Blida, la ville où je suis née, où j'ai grandi et appris mon art. Ce festival m'a permis de rendre hommage à tous les grands maîtres qui ont œuvré pour perpétuer les traditions de génération en génération. Ils m'ont formée, et à mon tour de former la génération actuelle. J'enseigne à Paris et ailleurs. Je pars pour des master class en Tunisie, aux Etats-Unis. J'ai certes participé au festival de Blida, mais j'aurais souhaité que les élèves se rapprochent de moi afin de les éclairer sur certaines de leurs interrogations. Ce n'était pas le cas. D'ailleurs, l'un des dirigeants d'une association ne savait même pas que j'étais l'élève de Dahmane Benachour, il ne l'a su deux jours avant, lors d'une émission de radio. Pourquoi les étrangers s'intéressent-ils à mon savoir ? Ce festival aurait été une belle occasion d'en transmettre une partie. Quand j'étais jeune, j'avais en face de moi des monstres de la musique andalouse, à l'image de Saddek Béjaoui, Abdelkrim Dali ou encore Dahmane Benachour. J'en ai profité au maximum. De Blida, j'allais jusqu'à Béjaïa, durant les vacances scolaires, pour les master class que Saddek Béjaoui donnait chez lui. Au cours du festival de Blida, j'ai eu un échange de propos avec un professeur de musique qui avait rendu un hommage à Dahmane Benachour. Je lui ai dit que j'étais l'élève directe de ce maître et que je n'avais reçu aucune invitation pour témoigner de sa grandeur. Toute musique d'essence traditionnelle, se perpétue par la chaîne humaine. On ne peut pas apprendre sur un disque ou une cassette. Il faut se rapprocher de la source. C'est valable pour les musiques ragga de l'Inde comme les nôtres. - Avez-vous été invitée à participer à «Tlemcen, capitale de la culture islamique» ? Lors de la célébration de la Journée internationale de la femme, le 8 mars dernier, le président de la République m'a adressé une invitation. Je ne savais même pas qu'il était au courant de la reconnaissance que j'ai eue aux Etats-Unis. J'ai été touchée par cette invitation car j'ai toujours considéré que j'œuvrais pour donner la meilleure image de l'Algérie et de sa culture. Par exemple, face à la diabolisation de l'Islam à l'étranger, j'ai répondu par mon album Voie Soufie, Voix d'amour. J'ai repris les plus beaux textes de grands penseurs, mystiques, poètes et philosophes, tels Ibn Rabi, Sidi Boumédienne, etc. J'ai donc transmis au Président ce que j'avais sur le cœur, qu'il n'était pas normal que je sois absente de la scène algérienne alors que le public algérien m'a vue grandir à la télévision algérienne. Depuis des années, pas une invitation pour une semaine culturelle, ne parlons pas des festivals de musique andalouse ou de musique soufie ! Dieu sait pourtant les recherches que j'ai faites sur le répertoire soufi et la mystique de l'Islam. Enfin, me voilà sollicitée officiellement pour Tlemcen qui est une ville de culture, d'histoire et de spiritualité. Cette invitation, je ne vous le cache pas, est un bonheur pour moi et j'entends bien retrouver mon espace d'antan et mon public. - Vos albums sont plutôt rares… Je ne suis pas du genre à éditer un album une fois par an. De grands artistes ont produit en une carrière trois à quatre albums, mais ces derniers durent dans le temps. Pour ma part, je fais beaucoup de recherches. Je m'applique à apporter du nouveau à faire découvrir aux Algériens, aux Maghrébins et aux mélomanes du monde une facette inconnue de notre patrimoine. J'ai chanté à ce jour presque toutes les noubates, mais je ne suis pas partisane de la répétition. La sensibilité de l'artiste dans l'interprétation se renouvelle toujours. - Quel regard portez-vous sur les associations andalouses ? Avant tout, je tiens à remercier celles qui essayent de donner un enseignement de qualité. Contrairement à ce que pensent certains, la musique andalouse n'est ni une musique de cour ni une musique élitiste. Aujourd'hui, sa popularité m'enchante et c'est l'un des mérites des associations. Cependant, il faut travailler la qualité et cela sur des bases universelles, car la musique andalouse est une musique qui appartient au patrimoine universel et donc au monde entier. J'ai toujours préconisé un enseignement sur des bases scientifiques, ce n'est pas parce que c'est une musique traditionnelle qu'on doit négliger le côté scientifique. Il faut travailler la voix et les textes. Il faut un professeur de littérature pour expliquer aux élèves les mots chantés. Les textes sont souvent inspirés du temps de l'Andalousie. Quand on chante la nature, on sacralise la nature. Quand on chante l'amour, on le chante dans toutes ses dimensions. Quand on chante l'ivresse, ce n'est pas une ivresse terrestre. Je tire la sonnette d'alarme : il faut que les professeurs qui enseignent la musique traditionnelle ou andalouse aient au préalable une formation universelle. Les élèves doivent étudier les modes. Il faut parler avec eux un langage universel. - Des projets en perspective ? Je compte bientôt éditer en Algérie un coffret regroupant tous mes albums. Sinon, j'ai plusieurs concerts à l'étranger, notamment en France, en Belgique et aux Etats-Unis. Je serai en concert le 1er juin au Théâtre de Verdure d'Alger et, fin juin, à Tlemcen pour chanter des textes de grands poètes.