Chaque maestro y trouve son compte, à coup sûr, sans le moindre risque de perdre la face artistique. Le fougueux Arturo Toscanini (1867-1957), le majestueux Wilhelm Furtwängler (1886-1954) et tant d'autres grands chefs d'orchestre de par le monde. Il en est jusqu'au cinéma qui s'en était saisi dans le fameux film Apocalypse Now dans lequel le génial Francisco Ford Coppola a réussi à coupler, avec brio, son et image au travers d'un ballet d'hélicoptères à l'assaut d'un malheureux village vietnamien. Il s'agit de l'acte trois de l'opéra La Walkyrie de Richard Wagner (1813-1883), acte très connu sous le l'appellation de La Chevauchée de la Walkyrie. On ne peut s'empêcher, à l'écoute de cette envolée mélodique, de penser que ce n'est pas la musique elle-même qui est importante, mais plutôt l'harmonie et la symbiose qui se dégagent du jeu des instrumentistes et, bien sûr, de la direction du chef d'orchestre. Toscanini en donna, en 1948, une interprétation quelque peu douce et romancée : violons, violoncelles, cuivres et cymbables sont là, mais pour révéler une architectonie, réputée haute et puissante depuis sa première exécution en 1870. Le grand Toscanini se contente de faire montre de sa fougue légendaire avec sa baguette seulement et quelques rictus d'un visage travaillé par la musique durant des décennies. C'est du moins ce que nous donne à voir ce bout de film remontant à cette période. Avait-il précédé en cela son rival Furtwängler ? Selon certains biographes, il aurait mis les bâtons dans les roues à l'époque où ce dernier tentait une carrière de chef d'orchestre aux USA, à la fin des années vingt. Toutefois, ces mêmes biographes ne manquent pas de reconnaître que Toscanini est revenu à de bons sentiments à l'égard de Furtwängler dans les années trente, c'est-à-dire au moment où il allait en Italie se reposer ou diriger la Scala de Milan. Furtwängler, c'est très connu, devait, durant la période hitlérienne, diriger l'Orchestre philharmonique de Berlin. L'après-guerre ne le lui a pas pardonné. Les instrumentistes d'origine juive ont même refusé de se mettre sous sa direction artistique. En somme, la dénazification l'avait rattrapé comme elle l'a fait beaucoup plus tard avec son compatriote, le philosophe Martin Heidegger, pour avoir été recteur de l'université de Fribourg au début de la montée du nazisme. Tout compte fait, la puissance proprement dite a-t-elle quelque chose de beau ? Si Wagner et, avant lui, Beethoven (1770-1827), ne comptaient pas uniquement dans leur musique sur la beauté mélodique, en revanche, ils lui adjoignaient le côté puissance qui est, chez eux, intrinsèque à chacune de leur composition, d'où cette sensation de force et de puissance qui caractérise leurs œuvres. Dans La Chevauchée des Walkyries, partie importante de sa composition éponyme, Wagner va jusqu'au bout de sa musique, une musique qui maintient le même tempo, entraîne son auditeur vers des contrées jamais explorées auparavant. On ne sait pas comment la Walkyrie a été jouée par les orchestres occidentaux depuis sa composition. Il n'en reste que de rares remarques et commentaires de quelques critiques et historiens de la musique. Va-t-elle encore évoluer sur le plan de l'interprétation pour donner lieu à d'autres effusions lyriques qui n'auraient rien à voir avec la partition d'origine ? Ou bien s'arrêtera-t-elle à cette rencontre accidentelle entre la version de Toscanini et celle de Furtwängler ? Assurément, la violence qui caractérise le monde par les temps qui courent verra d'autres chefs d'orchestre s'intéresser encore à la puissance qui ne cessera de coller à cette merveille musicale. La faute n'incomberait pas au seul Richard Wagner. [email protected]