Il y avait foule pour voir Francis Ford Coppola, et Tetro son oeuvre la plus...bergmanienne. «Le festival ne m'a pas accepté dans la sélection officielle sous prétexte qu'il y avait trop de films, pourtant les habitués étaient encore là cette année», il n'y avait pas de rancoeur, mais tout de même un peu de dépit dans la bouche de cet homme qui compte dans le gotha du cinéma mondial...On ne peut s'empêcher de se sentir impressionné de suivre la projection du dernier film du maestro à quelques mètres et d'avoir un oeil sur l'écran et un autre qui louche du côté de sa nuque...Car Francis Ford Coppola a beau connaître son film image par image, à la respiration près, il y a encore des manifestations du corps qu'il ne peut réprimer, tant l'histoire de Tetro lui colle à la peau au point que la mémoire telle une résurgence fait son travail sans se soucier du lieu, la salle de la Quinzaine des Réalisateurs, ni de la circonstance, l'ouverture de cette manifestation parallèle dédiée à l'origine par le Syndicat des Réalisateurs de films au cinéma d'auteur. Sous la houlette de son premier président, Pierre Henri Deleau, la Quinzaine avait accueilli aussi bien Chahine que Jarmush, que Coppola justement et tant d'autres cinéastes passés depuis chez la «concurrence», la Sélection officielle. Filmé en noir et blanc, en numérique, Tetro est une histoire de famille, assez «coppolienne» mais pour brouiller les pistes, elle a été écrite avec la plume d'un Tennessee Williams des grands jours celui d' Un Tramway nommé Désir. D'ailleurs, la dégaine d'un Vincent Gallo (Tetro) a beaucoup à voir avec celle de Marlon Brando, quant à celui qui incarne Benjamin son jeune frère (Alden Ehrenreich) il a tout d'un Paul Newman de la vingtaine! Depuis Conversation secrète qui relate le scandale du Watergate qui a couté à Nixon son poste, le réalisateur du Parrain n'avait plus écrit de scénario. Surtout durant la période où il était sur la paille, obligé de rembourser trente millions de dollars de dettes. Il faisait un film-commande par an, et cela dura dix ans! Alors pour raconter cette histoire assez personnelle où le fantôme de son père, le compositeur Carmine Coppola était on ne peut plus présent, le cinéaste est allé vers ce qui a toujours constitué la terre promise des émigrés italiens, l'Argentine! «J'ai trouvé une formule pour faire des films en les finançant moi-même, je choisis un pays dans lequel j'ai envie de passer un an. J'ai écrit Tetro en pensant à l'Argentine...». Film très personnel, Tetro raconte l'histoire de Benjamin, un jeune homme venu à Buenos Aires pour retrouver Angelo, un frère disparu sans laisser d'adresse et vivant sans passé sous le pseudonyme de Tetro. La rencontre, on ne peut parler de retrouvailles encore, va faire remonter à la surface des secrets de famille et rouvrir des plaies. Comme la rivalité entre deux frères musiciens d'origine italienne, comme l'étaient le père et l'oncle de l'auteur d'Apocalypse Now. «Quand j'ai tourné Le Parrain, je n'avais jamais rencontré de gangsters, et je me suis inspiré de mon père, de mes oncles.» Selon les normes des studios, Tetro est un film à petit budget (10 millions d'euros) «Je n'ai pas besoin d'argent, je suis très content de l'endroit où je vis. La seule chose qui m'intéresse, c'est d'apprendre. Le cinéma est un art jeune, qui obéit encore à des règles inventées au début du parlant.» «Il ne peut y avoir qu'un génie dans la famille» dit le patriarche, compositeur de talent dans le film. Et c'est en quelque sorte la phrase-clé qui en dit long sur l'effet castrateur de cette sentence. «Elle a réellement été prononcée, mais je ne peux vous avouer par qui...», confesse Coppola. A Cannes, c'est donc un homme apaisé, fier du succès de ses deux enfants, cinéastes, même s'il garde encore sous la chemise les traces de cicatrices familiales causées par l'attitude de son père Carmine mais aussi par le décès de son frère et puis de son fils aîné. «Le succès, c'est comme l'université. Les gens qui ne l'ont pas connu croient qu'ils ont manqué quelque chose. Ceux qui sont passés par là savent qu'ils n'ont rien manqué.» En tout cas, il y avait foule, plus de deux heures d'attente pour voir Francis Ford Coppola et par la même occasion, Tetro son oeuvre la plus...bergmanienne.