Si elles ont été accueillies comme une véritable bouffée d'oxygène par les ménages depuis le début de l'année, les dernières augmentations de salaire et les rappels versés aux fonctionnaires, au titre des trois dernières années, ne seront pas sans effet sur l'économie nationale de l'avis des spécialistes. Ainsi, après le problème de liquidités au niveau des bureaux de poste, conséquence directe de ces augmentations, l'on s'inquiète désormais des fortes poussées inflationnistes dans un marché où la régulation des prix fait cruellement défaut. Mais même si la tendance n'est pas encore à la flambée, les ménagères s'alarment déjà de voir le kilogramme de tomate passer en quelques jours de 40 à 100 DA et l'on craint le retour à la période de 2009 où le taux d'inflation touchait les 6%. «Les augmentations ne sont qu'un rattrapage d'un pouvoir d'achat légitime. Le problème se situe plutôt dans la formation des prix où on remarque l'existence des cartels dans le circuit de distribution et du commerce de gros qui récupèrent à leur profit ces augmentations», nous un dit économiste du CREAD. Pour l'heure, le gouvernement reste optimiste puisque selon le ministre des Finances, Karim Djoudi, il compte contenir l'inflation autour de 4% en 2011, ce qui constitue une légère hausse par rapport aux 3,9% de l'année dernière. Mais selon notre interlocuteur, ce taux est sous-estimé. «L'inflation telle qu'elle est mesurée pose problème», dit-il. «Dans beaucoup de situations où les augmentations de prix sont largement sensibles, réparties géographiquement et persistantes dans le temps, l'IPC (indice des prix à la consommation) mesuré par l'ONS (office national des statistiques) ne les reflète pas. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur certaines catégories de bien et voir que les prix relevés par l'ONS sont inférieurs à ceux effectivement payés par la population», relève l'économiste. Les chiffres officiels de l'inflation sont d'ailleurs contestés par le Fonds monétaire international (FMI) qui a estimé ce taux à 4,3% en 2010 et prévoit 5% en 2011. Certes, selon le FMI, l'inflation en Algérie est faible par rapport à la moyenne des pays de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA) qui est estimée à 10% en 2011, mais cela reste relatif si on prend on compte les résultats d'une étude publiée récemment sur les pays de la région MENA. Selon cette dernière, l'Algérie est l'un des pays où les salaires sont les plus faibles avec 56 % des travailleurs qui touchent moins de 500 dollars par mois. Opportunités d'épargne Même s'ils ont été revalorisés à la faveur des dernières augmentations, les salaires risquent donc d'être annihilés par l'inflation dont ils sont en partie responsables. Le ministre des Finances l'a reconnu en affirmant que l'augmentation de la demande interne de consommation conséquence du versement des salaires au titre des régimes indemnitaires et statuts particuliers avec rappel depuis 2008 «suppose un risque inflationniste». Et le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Laksaci de souligner que «l'orientation dominante de la politique monétaire pour 2011 devrait être de continuer à contrôler l'excès de liquidités et les pressions inflationnistes, qui pourraient apparaître après les importantes hausses de salaires dans la Fonction publique et les principaux secteurs économiques». Nécessaires pour relever le pouvoir d'achat des ménages, les augmentations de salaire posent néanmoins un souci, selon certains économistes, du fait qu'elles ne s'accompagnent pas d'une croissance de la productivité (qui reste très faible de l'avis des spécialistes), ce qui en principe pourrait prévenir le risque d'inflation. Dans ce cadre, la hausse de la demande interne ne pourra être satisfaite que par une offre externe, entraînant inévitablement un accroissement des importations. A cette problématique, le gouvernement semble avoir trouvé en partie la solution en comptant sur l'épargne des ménages. «C'est grâce à un effet de stérilisation d'une partie des opportunités d'épargne soutenues par l'Etat, que nous pouvons escompter un taux d'inflation contenu aux environs de 4%», a déclaré M. Djoudi récemment. En la matière, le délégué général de l'Association des banques et des établissements financiers (ABEF), Abderrahmane Benkhalfa, souligne que «l'épargne est encore rémunérée par les banques en Algérie. Les gens reçoivent une rémunération régulière même s'ils disposent de compte à vue, alors qu'en principe on ne rémunère que les comptes bloqués». En outre, «les banques jouent un rôle d'intermédiaire pour les titres qui sont placés en Bourse. Certes, il n'y a pas beaucoup de titres, mais leur placement constitue des formes d'épargne. Sans compter l'investissement dans l'immobilier et le logement qui en sont d'autres formes», explique-t-il. Globalement, les ressources (entreprises et ménages) nouvelles collectées par les banques augmentent entre 14% et 18% par an et au milieu de cela l'épargne des ménages «reste acceptable», selon M. Benkhalfa. Le salariat public conforté Cette masse salariale, ajoute-t-il, est «épargnée surtout pour constituer une solvabilité moyenne en vue de dépenses futures comme pour accéder à des marchés difficiles à l'instar de celui de l'immobilier». Le logement constitue une grande opportunité de placement de l'épargne, en témoignent les chiffres de la Banque d'Algérie qui indiquent que les crédits hypothécaires aux ménages ont progressé de 13% en 2010. Au-delà de leur impact sur l'inflation ou sur les consommations des ménages, les dernières augmentations de salaire révèlent, selon certains économistes, le problème de l'absence «d'une stratégie globale de croissance et d'augmentation de la productivité» dans laquelle elles auraient dû d'inscrire. Une source bancaire qui a requis l'anonymat estime qu'avec ces augmentations, c'est toute la problématique du «salariat» qui se trouve aujourd'hui posée. «Il ne faut pas que les salariés (fonctionnaires ou du secteur économique public) soient les seuls à toucher des augmentations, de même qu'il ne faudrait pas que l'écart se creuse entre le travail salarié et non salarié auquel cas cela entraîne une inflation et une déprime du marché économique», nous dit-elle. Or, ajoute la même source, ce qui est observé aujourd'hui, «c'est une scission entre le salariat public et le secteur privé. Pis encore, nous sommes dans un système qui conforte le salariat public en multipliant son pouvoir d'achat, ce qui est dangereux, car cela réduit l'esprit d'entrepreneuriat et l'expansion d'entreprises privées».