Jusque-là occasionnel, le manque de liquidités dans les bureaux de poste a donné l'impression, dernièrement, d'être un phénomène chronique. Des queues interminables devant les guichets d'Algérie Poste, des gens excédés de ne pouvoir disposer librement de leurs salaires et un personnel de la poste complètement dépassé et impuissant : tel est le triste décor observé ces dernières semaines un peu partout dans le pays.Une demande accrue de liquidités que même la Banque d'Algérie (BA) n'a pu contenir malgré les moyens mis en place. Mercredi dernier sur le plateau de l'ENTV, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a fait savoir que la BA imprime, depuis octobre 2010, quelque 18 milliards de dinars par jour contre 10 milliards de dinars auparavant. Selon l'institution dirigée par Mohamed Laksaci, la production de billet a atteint «un volume record, jamais réalisé auparavant, en si peu de temps». D'ailleurs, elle a même été contrainte de recourir à la planche à billets pour satisfaire une demande massive expliquée par divers facteurs. Le ministre de la Poste et des Technologie de l'information et de la Communication, Moussa Benhamadi, a estimé que «les récentes augmentations de salaires des employés des différents corps de la Fonction publique et les rappels massifs de salaires sont, en grande partie, responsables de cette forte demande». La loi de finances complémentaire 2010 avait, pour rappel, prévu une rallonge de 608 milliards de dinars au titre du budget de fonctionnement pour couvrir les dépenses liées au nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires, avec effet rétroactif à partir du 1er janvier 2008, au titre de l'année 2011. Une explication confirmée auprès de responsables de certains bureaux de poste. L'un d'entre eux nous a même indiqué que les retraits d'argent avait «augmenté entre 25 et 35% par rapport à l'année dernière». Ces dernières semaines, «nous payons 1500 à 2000 personnes par jour contre une moyenne mensuelle de 1000 à 1200 personnes/jour», a-t-il ajouté. Avec cela, «la Banque d'Algérie ne nous approvisionnait pas suffisamment. Parfois, on ne recevait que 50% de nos besoins», a-t-il expliqué. Thésaurisation, faux billets et bons de trésor Seulement, les augmentations de salaires n'expliquent pas, à elles seules, la crise de liquidités aggravée, selon M. Benhamadi par le fait que les employés «cherchent souvent à retirer la totalité de leur argent». «Tous les jours ou presque, nous épuisons la totalité de l'argent disponible dans les caisses», nous dit le chef d'une agence postale au niveau de la capitale. Certains clients avouent clairement «ne pas faire confiance à la poste, ni même à la banque» pour y laisser leur argent. L'épisode Khalifa ou encore le problème de liquidités à répétition a tendance à nourrir la réticence de bon nombre d'entre eux. Du coup, l'argent retiré ne revient pas dans le circuit postale ou bancaire. Pour le délégué général de l'association des banques et des établissements financiers (ABEF), Abderrahmane Benkhalfa, «il y a un phénomène de thésaurisation qui fait que l'argent qui sort est stocké quelque part». Même si elles sont plausibles, ces explications ne suffisent pas, selon certains observateurs, à expliquer l'assèchement des liquidités. Une source proche du milieu bancaire évoque ainsi le problème des faux billets retirés de la circulation. Encore aurait-il fallu admettre que «la BA ait eu la possibilité de les détecter tous», ce qui n'est pas évident. L'autre piste évoquée par cette même source concerne, dit-elle «une directive du ministère des finances datant de janvier 2011 qui stipule la personnalisation de tous les anciens bons de trésor détenus par les particulier à titre anonyme», dans un souci de transparence. La directive fixerait la date du 30 juin 2011 comme dernier délai pour la finalisation de cette opération et a déjà eu pour effet de pousser un nombre d'industriels, hommes d'affaires et autres détenteurs de tels titre de procéder à des retraits massifs de liquidités «notamment pour éviter d'éventuelles impositions», nous dit-on. L'argent ainsi retiré aurait été investi dans l'immobilier ou servi à acquérir des devises sur le marché parallèle «d'où la flambée des cours de l'euro», précise la même source. Risques inflationnistes Quelles que soient les raisons, l'important quand il y a un problème de demande massive est, selon M. Benkhalfa, «de la satisfaire d'abord et ensuite de traiter ses causes».La banque centrale a annoncé la création d'un nouveau billet de banque d'une valeur de 2000 dinars afin d'assurer «une disponibilité accrue» de la monnaie fiduciaire. Une solution qui offrira «plus de confort aux dépensiers», pour le délégué de l'ABEF, d'autant que cette nouvelle monnaie va exister «concomitamment avec les autres billets de 100, 200, 500 et 1000 dinars», précise-t-il. Certains économistes, en revanche, se montrent perplexes, estimant que «rajouter une nouvelle masse monétaire a celle déjà importante en circulation entraînera un effet inflationniste», d'autant qu'il «n'est pas du tout évident que les ménages épargnent davantage». Or, si l'inflation revient, «les banques seront obligées de relever leur taux d'intérêt directeur et cela va freiner l'investissement utile», précise notre interlocuteur. Aujourd'hui, plus que des solutions d'urgence, la gestion de la crise de liquidités a d'abord besoin d'une «cohérence de la politique économique globale» du pays, conclut-elle.