Le spécialiste de l'organisation terroriste Al Qaîda, Roland Jacquard, met en garde contre les représailles suite à l'élimination d'Oussama Ben Laden. «C'est la fin du chef historique de la nébuleuse Al Qaîda, mais ce n'est pas celle de l'organisation. Il faut rester vigilant dans la lutte antiterroriste», a-t-il averti. Pour ce qui est de l'impact de la mort du numéro un d'Al Qaîda sur l'activité des groupes armés dans la région du Maghreb (AQMI), le président de l'Observatoire international du terrorisme redoute que l'on «demande à AQMI de monter des opérations terroristes contres les intérêts occidentaux dans la région» tout en affirmant que la position des katibas algériennes se trouve fragilisée. - Après plus de dix ans de traque, les Américaines ont pu éliminer Ben Laden. Quel commentaire faite-vous ? C'est la fin du chef historique de la nébuleuse Al Qaîda, mais ce n'est pas la fin de l'organisation terroriste. C'est pour cela qu'il faudrait rester vigilant dans la lutte antiterroriste. Le risque des actions des groupes terroristes est à craindre. Il y aura sans doute des représailles. Ils ne vont pas laisser l'élimination de leur chef historique impunie. Les pays occidentaux, en Europe et aux Etats-Unis d'Amérique, ont d'ailleurs revu à la hausse le niveau de vigilance, car ils risquent des réactions violentes des groupes terroristes, soit sur le sol européen ou bien des attaques contre des intérêts occidentaux où qu'ils se trouvent. - Comment, justement, le commando militaire américain a pu localiser l'endroit où se trouvait Ben Laden et l'éliminer par la suite ? Il faut dire que la traque du chef historique d'Al Qaîda n'a jamais été interrompue. Il y a au sein de la CIA un groupe composé d'une cinquantaine de membres issus essentiellement de l'élite de la CIA et des forces spéciales qu'on appelait «section Ben Laden» qui n'a jamais cessé de le rechercher. Il semble que des informations sur l'endroit où Ben Laden se trouvait depuis juillet 2010 ont été rassemblées. Des opérations sur le terrain étaient engagées depuis. Ce qui a accéléré l'opération est l'interview que Ben Laden avait accordée le 21 octobre 2010 où les interférences des communications ont été interceptées. Depuis cette période, le chef d'Al Qaîda était à 150 km de la capitale pakistanaise, Islamabad. Il se trouvait à cet endroit, tout proche de la ville, pour se soigner, car il était gravement malade. Il souffrait d'une infection de l'intestin. Il s'est rapproché aussi de cette région pour pouvoir être en contact avec le chef opérationnel de son organisation, Elias El Kachemiri. Il faut dire aussi que la vie pour lui dans les grottes afghanes lui était devenue impossible en raison des bombardements intensifs des drones. - Quelle sera la conséquence de l'élimination de Ben Laden sur les groupes terroristes dans la région du Maghreb ? Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) a sa propre politique, mais elle a des liens très forts avec l'organisation mère, surtout avec le numéro deux de l'organisation, Aymen Al Zawahiri, et Abou Yahya Al Libi, deux idéologues de la nébuleuse terroriste. Il est certain que ces deux chefs demanderont à AQMI de monter des actions, notamment contre les intérêts français et américains dans la région. Cela étant dit, l'élimination de Oussama Ben Laden va sans doute fragiliser la position des katibas algériennes qui détiennent les otages français. C'est la raison pour laquelle il faut maintenir la vigilance à un niveau très élevé. - La question de la succession au chef historique d'Al Qaîda va vite se poser. Pensez-vous que l'actuel numéro deux de l'organisation, Aymen Al Zawahiri, lui succédera ? Pas si sûr. C'est le majliss echoura (conseil consultatif), dont on ne parle pas beaucoup justement, qui devrait désigner le successeur de Ben Laden, à l'issue de sa réunion. Il est vrai que Aymen Al Zawahiri est dans l'ordre naturel de la succession, mais d'autres noms sont sur la liste des héritiers. Il y a Elias El Kashmiri dont on parle moins, un ancien militaire pakistanais qui occupait le poste de chef des opérations de l'organisation terroriste, avec qui Ben Laden entretenait de très bons rapports. Et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles le chef historique d'Al Qaîda s'est rapproché de la banlieue d'Islamabad. Il y a également Abou Yahya Al Libi, lui aussi un idéologue de l'organisation. - Avec la disparition de Ben Laden et l'apparition d'un nouveau chef, la doctrine d'Al Qaîda va-t-elle changer ? Non, elle ne va pas changer, elle peut même se radicaliser. Il est dans la logique d'un successeur de montrer qu'il est capable de diriger. Avec l'élimination de son chef historique, Al Qaîda a ajouté un autre martyr à son histoire.