La place Jamaâ El Fna renoue avec son lustre légendaire de place où le temps semble s'être arrêté aux cadrans de l'insouciance et de la joie de vivre. La place Jamaâ El Fna renoue avec son lustre légendaire de place où le temps semble s'être arrêté aux cadrans de l'insouciance et de la joie de vivre. Une semaine après l'attentat meurtrier qui a fait 16 morts et 26 blessés, cette place, célèbre, semble vouloir défier la peur et la terreur. Elle choisit cette vie toute en couleurs qu'elle entretient depuis si longtemps et rejette ce voile de terreur qu'on a voulu lui donner un certain jeudi 28 avril 2011. Une semaine s'est écoulée depuis que le café Argana, trônant sur l'entrée de la place Jamaâ El Fna, a été soufflé par une bombe dont, dit-on, le bourdonnement a secoué le Tout-Marrakech. Depuis ce jour fatidique, le café Argana est même devenu l'attraction majeure de la place. Les touristes qui continuent à aller et venir, moins que d'habitude nous disent les commerçants du coin, s'arrêtent pour prendre des photos et filmer. L'image hideuse et triste de cet édifice ébranlé par la déflagration tranche avec l'air festif qui nous vient du cœur de la place Jamaâ El Fna soutenu par les karkabous des gnawas. Des couronnes de fleurs, signées des noms des hôtels et complexes touristiques de Marrakech, ornent l'entrée du café désormais connu par le nombre de victimes qui y ont laissé la vie. «Non à la violence» ; «Non à la terreur» ; «Oui à la vie», pouvons-nous lire sur les écriteaux laissés sur place par les professionnels du tourisme. Ces derniers semblent être les plus touchés par cet attentat qui, disent-ils, visait à tuer le tourisme au Maroc. Il est 11h30, une procession humaine arrive dans le silence, direction le café Argana. Deux grandes banderoles ouvrent la marche des professionnels du tourisme venus des quatre coins du Maroc en solidarité avec Marrakech, le cœur battant du tourisme marocain. Environ une centaine de personnes, «armées» de fleurs et de compassion, observent une minute de silence à la mémoire des victimes de l'attentat du 28 avril. «Nous venons dire notre totale condamnation de cet attentat qui a endeuillé la capitale du tourisme au Maroc, et nous venons manifester notre solidarité avec nos collègues du secteur à Marrakech. Nous appelons aussi nos partenaires à adhérer à notre projet de développement touristique», déclare M. Setti, consultant en tourisme à Casablanca. Venus de Casablanca et Rabat, les professionnels du tourisme disent tenir à ce que «Marrakech demeure la capitale du secteur au Maroc». «Nous allons faire oublier cet acte, en communicant positivement sur le Maroc. Nous le ferons comme les autres l'on fait à Paris, à Londres, à Madrid. Le Maroc a été la cible aujourd'hui d'un attentat qui peut arriver n'importe où», souligne Amal Karioune, président de l'Association des voyagistes de Rabat, venu participer à cette action de solidarité avec Marrakech. «Tandis que nous avançons vers la démocratie, certaines personnes ne veulent pas qu'on y arrive», dit-il en s'interrogeant sur les objectifs de cet attentat, tout en notant qu'il y a eu quelques annulations de la part de voyageurs étrangers. «Il y a eu quelque peu de la fébrilité qui s'est manifestée chez certains, mais je pense que c'est plus dû à des effets d'annonces qui finiront par s'estomper avec le temps. Mais il y a une solidarité quand même qui s'est manifestée, car tout le monde sait que ça peut arriver n'importe où», indique M. Karioun. Un voyagiste ému n'a pas pu retenir ses larmes. «Regardez ce gâchis. C'est le travail de plusieurs générations pour construire un vrai tourisme au Maroc, aujourd'hui regardez ce qu'il en advient. C'est triste. Mais nous sommes assez solidaires et nous surmonterons tout ça», nous dit-il. Un touriste anglais contemplant ce qui est advenu du café qu'il avait l'habitude de fréquenter nous dit : «La semaine dernière, alors que je passais tous les jours prendre un café ici, il se trouve que par un coup de chance, je n'ai pas été ce jour-là à mon rendez-vous. J'ai dû quitter Marrakech pour une autre ville et malgré ce qui est arrivé, je suis revenu. Vous voyez, ils ne peuvent pas nous empêcher de venir.» Un troubadour appartenant aux «chioukh el halqa», ces poètes et conteurs dont est célèbre la place Jamaâ El Fna, prie place devant le café Argana pour dénoncer avec le verbe tranchant et bien ciselé l'attentat meurtrier et le terrorisme. Une manière de dire que Jamaâ El Fna a choisi de ne pas céder son âme à la terreur. Une fois sa prestation terminée, et comme dans la fin d'une tragédie, un voile tombe sur le café Argana. Des policiers supervisent la couverture de la façade du café, une manière d'effacer les traces de la bombe et de panser les blessures de Jamaâ El Fna. Reste à savoir si le tourisme en gardera des séquelles. Tel est le questionnement majeur que se posent tous les Marrakechis.