Le pélican, observe-t-on, symboliserait «l'amour paternel». Vrai ou faux ? Apparemment, les ornithologues sembleraient d'accord avec cette interprétation plutôt poétique, même si certains d'entre eux passent leur temps à suivre le va-et-vient de ce palmipède qui aime à s'absenter de son nid, un certain temps pour y revenir, tout frétillant, auprès de ses petits. Le poète Alfred de Vigny (1797-1863), nous le révèle sous l'aspect du stoïcien se sacrifiant pour sa progéniture. Le monde arabe, encore perdu dans les brouillards de l'histoire, semble, lui aussi, chérir, mais négativement, la démarche de cet oiseau, en ce sens qu'il n'a cessé, depuis la chute de l'Andalousie en 1492, de revenir avec un grand regain de nostalgie vers les temps immémoriaux de sa grandeur. Comme si la civilisation, en tant que marche globale vers l'avant, pouvait revenir en arrière ! Pourtant, ceux qui sont derrière cette démarche, ou qui prétendent détenir la vérité de toutes les vérités, en se prévalant d'une mauvaise appréhension du message coranique au cours des six derniers siècles, savent pertinemment que la vie ne revient jamais en arrière. Les élucubrations de ces charlatans, emboîtant le pas à certains scientistes, font état du fait qu'il serait possible à l'homme de revenir vers les tout débuts de la création ! Comment s'expliquer cette acrobatie qui n'a donné lieu jusqu'ici qu'à une attente sans lendemain ? Al-Mahdi, le messie tant attendu depuis des siècles, se refuse à faire escale dans ce monde arabe, et cette attente prend une autre configuration, entendez une maladie existentielle chronique qui dégénère, d'une manière cyclique, en guerres fratricides, et, bien sûr, en gouvernances dictatoriales. De quel amour paternel s'agit-il donc ? De celui du pélican rompu à ses propres instincts naturels, ou encore de celui du phénix, cet oiseau mythique qui renaîtrait, à chaque fois, de ses cendres ? Par quelle alchimie, le premier élan – salvateur celui-là et constructeur –, s'est-il mué en une attente qui n'a, en fait, aucune essence religieuse, et relève plutôt d'un amalgame d'idées ésotériques et païennes destructrices ? Dans le monde arabe, on se met à la renverse pour déchiffrer le ciel, et ce geste reste on ne peut plus archaïque. Si les anciens Babyloniens lisaient dans les entrailles d'animaux pour esquisser quelque signe précurseur de l'avenir, en revanche, de l'Atlantique au Golfe, rien ne semble percer depuis le refroidissement, puis le gel de l'élan révolutionnaire et libertaire qui a prévalu dans toutes les sociétés arabes à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le Mahdi, démocratique et moderne, campe toujours dans certains esprits, qui, faut-il le dire, s'ingénient, malheureusement, à jouer aux guides de la pensée. En fait, le monde arabe, en dépit de sa grande débandade et de sa disparité à la fois, demeure perçu, aux yeux des autres, sous la forme d'un ensemble pris au sens mathématique du terme. Ce qui devrait compter pour lui, au premier chef, c'est de faire fi de ce «coup entre les deux omoplates», pour reprendre une expression soufie, «coup» qui serait source d'inspiration, de bannir l'image fantasmée du phénix qui renaît de ses cendres et de brandir un véritable épouvantail face à ce pélican, à cette pseudo idée du retour à ce qui fut beau un jour. L'essentiel pour lui, aujourd'hui, est de regarder, sereinement et avec courage, en direction de l'avenir. [email protected]