Pour tenter de prendre du recul sur cette question dont on n'a pas fini de parler, Yvan Gastaut, historien du sport, et président de l'association «We are the football», met ce sujet en perspective. Yvan Gastaut a été commissaire de l'exposition «Allez la France ! Football et immigration» présentée en 2010 à Paris à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration et au Musée national du sport. - Est-ce que ce débat sur les quotas qui est aujourd'hui sur la place publique est une surprise ? Des choses se trament depuis des années. C'est le péril «racialiste» du football. Dans les instances fédérales, il y a un discours ambiant. Les dirigeants sont un peu imprégnés de propos qui circulent dans l'opinion publique : y a-t-il a trop de Noirs, trop d'Arabes, dans les stades, sur les terrains, dans les équipes, en équipe de France ? Ce discours existe depuis maintenant au moins vingt ans. - On ne pensait pas cependant que cette gangrène atteigne le plus haut niveau du football... Des rumeurs selon lesquelles les instances du football s'inquiétaient du fait qu'on soit obligé un jour d'aligner onze joueurs qui seraient tous d'origine étrangère, maghrébine ou africaine, circulaient déjà. Ce fantasme a existé et se traduit par des réunions plus concrètes pour limiter l'accès des binationaux aux équipes de jeunes, et qui, ensuite, se tourneraient vers les équipes nationales des pays d'origine de leurs parents. - Comment peut-on mettre en quotas le talent futur de joueurs ? N'est-ce pas étonnant ? C'est irréalisable. Il y a autour de cette notion de quotas beaucoup plus de fantasme, d'irrationnel, que d'éléments qui peuvent se mettre en place parce que cela voudrait dire qu'on sélectionne à partir de 12 ans l'origine des jeunes. Ce qui signifierait la création d'une sorte de fichage digne de l'époque de Vichy, c'est-à-dire une injonction aux origines et qu'il faudrait distinguer les Français purs de ceux qui ne le sont pas. - Y a-t-il de la place pour tous les meilleurs joueurs dans l'équipe de France ? Ne faut-il pas, un jour, pour un jeune binational, choisir son pays s'il veut briller en international, parce que l'équipe de France ne l'a pas retenu ? Le choix ne peut pas se faire à 12 ou 13 ans. De l'institut de formation, il est sorti quatre joueurs binationaux qui ont joué en équipe de France, et vingt-six qui ont joué pour des équipes étrangères. Alors vous avez raison de le souligner, tous n'ont pas accès à l'équipe de France, et pour les binationaux, c'est une chance supplémentaire. Souvent, pour ces jeunes, le choix attractif, c'est plutôt l'équipe de France. Il est rare de voir un joueur tourner le dos au onze français pour aller au Sénégal, au Maroc ou en Tunisie. A la dernière Coupe du monde, on avait balayé un peu vite qu'il n'y avait pas de beurs dans le onze tricolore, cette absence fait le pendant avec le débat actuel... - On disait alors qu'ils n'étaient pas tout à fait compétitifs. S'il y avait eu un joueur incontournable, on l'aurait pris. Mais il est vrai que l'état d'esprit n'a pas aidé à les intégrer au club France. On est quelque part dans la frilosité, les résultats étant le négatif de ceux de 1998, qui avaient accompagné une mise en scène de la France black-blanc-beur, une France de la diversité. Aujourd'hui, on n'a pas de résultats et cela entraîne une mise en scène négative des instances fédérales du foot gagnées par la peur de cette représentation de joueurs issus d'Afrique, d'outre-mer, et on arrive à un racisme primaire qui me semble nauséabond. - Maintenant que la bombe est dégoupillée dans les médias, que va-t-il se passer ? Le football français ne peut pas faire l'économie de la diversité. En ma qualité d'historien, je vois les choses sur le temps long. La France est dans le déni de ce qu'elle a pu être. Les générations Benbarek, Platini, Kopa, Zidane ont toujours mis en évidence que le football français a été fait de ses apports multiples. S'il s'agit de nier cette appartenance, et de construire une équipe blanc-blanc-blanc, cela me semble être une manière de se tirer une balle dans le pied. Si la Fédération s'enferme dans des discussions qui ne mènent à rien, on peut considérer que le foot français succombera dans plusieurs années de marasme. L'avenir est de prendre en charge cette richesse. Si ce n'est pas le cas, on peut considérer qu'on sera plongé dans l'ombre pour plusieurs années.