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Yvan Gastaut. Président de We are the football association : « Comment on ‘‘footballise'' les médias »
Publié dans El Watan le 10 - 06 - 2010

Le terrain du football est plus grand que la petite dimension de la pelouse d'un stade. Ces enjeux sociaux dépassent désormais les 90 minutes d'un match. Yvan Gastaut, maître de conférences à Sophia Antipolis (Nice), travaille sur ces effets du football sur la société. Il préside l'association We are the football association qu'il a cofondée avec des universitaires. Durant ce Mondial, il participe à Paris, à la Cité de l'immigration, à une manifestation autour des rapports entre football et immigration. Une exposition sous le thème « Allez la France ! Football et immigration, histoires croisées » est visible jusqu'au mois d'octobre. Elle redonne particulièrement vie aux « générations » de l'équipe de France de 1938 à 1998, fils de Polonais, Italiens, Espagnols, Algériens… Yvan Gastaut nous offre son regard sur cette édition 2010 du Mondial de football.
Pour cette coupe 2010, l'équipe de France est orpheline de ses joueurs maghrébins, est-ce, selon vous, une rupture ou un épiphénomène ? La France black blanc beur a-t-elle vécue ?
C'est vrai qu'au Mondial 1998, il y a eu ce moment exceptionnel de la France unie, métissée, message utilisé alors par les hommes politiques. En tant qu'historien, je peux dire que cet épisode a marqué son temps, mais qu'il n'a pas apporté ce qu'on attendait. L'absence des jeunes issus de l'immigration n'est que circonstancielle. Eric Besson, ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, a été la seule personnalité à pointer l'absence des Maghrébins sans faire grand bruit. Les trois joueurs, aptes à aller au mondial, Benzema, Nasri et Ben Arfa, n'ont pas été sélectionnés car ils n'ont pas eu le rendement qu'on attendait d'eux. Ce n'est pas leur appartenance qui les a desservis, mais leurs résultats sportifs.
Que pensez-vous du rapport conflictuel entre jeunes générations issues de l'immigration et leur regard ambivalent entre leur patrie d'origine et celle où ils sont nés ? Ce « je t'aime moi non plus » a été manifesté par des crises majeures comme les sifflets de la Marseillaise, ou récemment les débordements notamment à Marseille, Lille, lors de la qualification de l'Algérie au Mondial ? A ce sujet quelles évolutions appréhendez-vous ?
Je disais que l'absence des Maghrébins n'a pas été particulièrement relevée dans la presse ou dans les commentaires. Zidane ayant été l'icône du football et de l'immigration, cela n'a jamais empêché la société de mettre en avant les tourments de l'histoire coloniale, les problèmes des relations entre la France et l'Algérie. Ce n'est parce qu'il n'y a pas de Maghrébins dans l'équipe de France que le problème va se développer ou se résoudre. Est-ce que le public s'identifie aux Benzema, Nasri et Ben Arfa ? Je n'en suis pas certain.
La France de Zidane était-elle plus porteuse en ce sens ?
Je le pense, c'est le moment qui le voulait. On décline moins l'équipe de France à travers cette diversité des composantes, et l'identification se fait plus pour les jeunes de l'immigration autour de l'équipe d'Algérie qui s'est qualifiée qu'autour des joueurs qui représenteraient le Maghreb dans l'équipe de France.
Cela veut-il dire que le soutien des Algériens, Tunisiens et Marocains de France se portera sur l'Algérie jusqu'au bout de son parcours quel qu'il soit, puis vers la France si éventuellement elle va plus loin dans la compétition ?
Les supporters sont versatiles. Il ne faut pas donner de valeur trop essentialiste, ils changent d'avis. Le public peut être pour l'Algérie et demain pour la France si par exemple il y a un France-Allemagne, c'est un processus d'identification propre au football. On est sommé de prendre partie lorsqu'on est un supporter moyen. On peut détester une équipe un jour et la porter aux nues le lendemain. Le 12 juillet 1998, il y a eu des drapeaux algériens, tunisiens, marocains mêlés aux drapeaux français, cela n'a pas empêché qu'en octobre 2001 tous prennent partie pour l'Algérie et sifflent la Marseillaise. On a tous une carte du tendre, celui qu'on préfère, celui qu'on aime un peu moins, etc…
Sur le plan sportif, beaucoup de jeunes maghrébins talentueux vont vers la nationalité du pays d'accueil ou de naissance car c'est plus valorisant et rémunérateur, avec la brisure de cette non-sélection pour ce Mondial 2010, qu'est-ce que cela va changer ?
Les règlements du football font qu'on ne peut choisir qu'une équipe et ce choix se fait souvent quand on est jeune, à 16 ou 18 ans. C'est le cas des trois joueurs Benzema, Ben Arfa et Nasri, d'abord approchés par leur pays, l'Algérie et la Tunisie. Ils ont choisi la France. C'est intéressant de voir ce mélange entre choix sportif et choix identitaire. A contrario, si un joueur n'a pas tellement le niveau, il a le choix numéro deux. C'est le cas du Franco-Polonais Ludovic Obraniak, qui n'a jamais mis les pieds en Pologne et qui va évoluer avec l'équipe de ce pays. Il devient sportivement polonais.
L'actualité récente a révélé des comportements extravagants de joueurs comme Ribery ou Benzema, cités dans des affaires de mœurs. Le phénomène est-il nouveau, et de quoi est-il révélateur ?
C'est un sujet explosif. Cette affaire a fait surgir cette nouvelle dimension de l'intimité, des sujets tabous. C'est un sujet qui peut provoquer quelque tourment. La preuve en est que sont concernés Ribery, de confession musulmane, et Benzema. Cela a tendance à les déstabiliser en tant que références. Ces joueurs ont des vies exceptionnelles de par leurs revenus, leur mode de vie, ils suscitent un engouement, ils sont courtisés jusque dans leur vie privée, et cela n'a pas fini d'attiser la pression médiatique sur leurs frasques. Tel ou tel rapport avec telle ou telle personne et le recours à la prostitution en sont des aspects.
En tant que chercheur, comment allez-vous suivre ce Mondial 2010, qu'irez-vous observer et débusquer ?
J'aime le jeu, bien sûr, mais ce qui m'intéresse en tant qu'historien, c'est l'utilisation politique, symbolique, les réactions médiatiques, autour de la France ou de l'Algérie, puisque je travaille sur ce contexte des relations sportives autour de la Méditerranée. Le foot est une formidable caisse de résonance. Comment va-t-on exploiter la victoire, manipuler la défaite, comment les discours vont se formuler ? Le foot, c'est parlant et aucun homme politique aujourd'hui ne peut éviter l'événement. Je suis pas à pas comment cette dimension affleure dans l'espace public, et comment on « footbalise » les médias.
Il y a aussi l'événement de cette première Coupe du monde en Afrique ?
Oui, c'est un enjeu à suivre, une force symbolique. Que va-t-on dire sur l'Afrique, sur le football africain ? Les « Africains de l'équipe de France » sont émus de se retrouver là-bas, faisant ressortir une lointaine fibre des racines. Un sommet France-Afrique s'est tenu récemment à Nice. Si un pays africain va très loin dans la compétition, il y aura une utilisation politique en France. Avec le football, on ne peut réagir qu'en fonction des résultats et des événements autour. Place au jeu, on verra le reste après.
Pour aller plus loin * Catalogue de l'exposition « Allez la France ! Football et immigration, histoires croisées » coordonné par Claude Boli, Yvan Gastaut et Fabrice Grognet, co-édition Gallimard/CNHI/Musée national du sport, mai 2010, 26 euros. * Les diasporas sportives dans le monde du football. Revue Hommes & Migrations coordonnée par Yvan Gastaut (université de Sophia Antipolis) et Claude Boli (Musée national du sport), n°1285 mai/juin 2010.


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