La cité de l'histoire nationale de l'immigration ouvre, en avril prochain, l'exposition permanente du musée national de l'histoire de l'immigration. Cette institution vient d'organiser (du 28 au 30 septembre), en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, un colloque international dont le thème a été « Histoire et immigration : la question coloniale », ayant pour objet de réfléchir sur le lien entre colonisation et migration. Jacques Toubon, président de la Cité de l'histoire nationale de l'immigration nous en dit plus. Qu'est-ce que la cité de l'histoire nationale de l'immigration et à quels objectifs répond ce projet ? Cette institution culturelle et éducative remonte dans ses origines, assez loin, puisqu'il y a une vingtaine d'années, des historiens, et en particulier ceux de l'histoire sociale, des militants, ont à la fois cherché à donner une autonomie à l'histoire de l'immigration, et surtout à faire en sorte que celle-ci soit restituée dans l'histoire de France, que l'on raconte ce qui s'est vraiment passé depuis deux siècles, c'est-à-dire comment des millions d'hommes et de femmes ont construit la France et fait l'identité française d'aujourd'hui. Il s'agissait à la fois de porter à la connaissance du public cette histoire, et en reconnaissant cette contribution de l'immigration à la construction de la France et à l'identité française, de faire en sorte que le regard contemporain sur l'immigration soit le regard que l'on porte sur une donnée historique, naturelle, de longue haleine, qui a des hauts et des bas, des échecs et des réussites, mais non pas de considérer, comme c'est très souvent le cas aujourd'hui, l'immigration comme un phénomène temporaire, une intervention hostile dans notre société. Nous allons aboutir à une première étape de ce projet qui m'a été confié en 2003, avec l'ouverture en avril 2007 de l'exposition permanente du musée national de l'histoire de l'immigration. C'est aussi un programme culturel et artistique, un grand travail sur la pédagogie avec l'éducation nationale, un réseau avec les associations, les collectivités locales, les centres de recherche. La cité comprend également une médiathèque. Envisagez-vous des partenariats, des échanges avec des centres de recherche ou des universités des pays du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne, par exemple ? Une partie de notre activité consistera à travailler en commun avec les pays d'origine, parce que par définition, l'histoire de l'immigration c'est l'histoire du départ d'un pays, le passage, puis l'arrivée et l'installation dans un autre pays. Abdelmalek Sayad disait très bien qu'il faut avoir le regard sur les deux rives. En second lieu, il faut que nous ayons sur un certain nombre de projets des collaborations avec des institutions dans certains pays du Maghreb ou d'Afrique. Nous avons, par exemple, commencé avec l'un des historiens de notre comité d'histoire à travailler sur un projet algérien, le Musée national de l'histoire du travail en Algérie. L'histoire du travail en Algérie, c'est naturellement le travail des Algériens en Algérie, mais c'est aussi le travail des Algériens en France. La cité organise présentement un colloque qui s'articule sur deux questions d'actualité qui ont fait l'objet de débats passionnés, controversés, à savoir immigration et passé colonial. Pourquoi articuler ce colloque à la fois sur l'histoire de l'immigration et sur le passé colonial ? Cette articulation immigration-colonisation est-elle adéquate ? L'immigration est-elle un produit ? Un effet ? Une séquelle de la colonisation ? L'immigration n'est pas un produit de la colonisation, puisque dans notre pays, il y a deux immigrations ayant deux sources différentes : l'immigration de source européenne qui s'est poursuivie tout au long du XIXe et du XXe siècles, et jusque dans les années 1980. La deuxième source, c'est la source coloniale et post-coloniale qui a été active essentiellement à partir de la Seconde Guerre mondiale, même si des immigrés algériens sont venus dans les années 1920 s'installer dans notre pays, mais naturellement le nom d'immigrés ne pouvait pas leur être donné puisque l'Algérie était alors la France. Dans ce colloque, nous avons voulu savoir comment l'histoire coloniale peut comporter des rémanences dans l'histoire de l'immigration, dans les caractéristiques ou les problèmes de l'immigration d'aujourd'hui, et comment, d'autre part, notre passé colonial donne à l'immigration dans notre pays des caractéristiques particulières. L'immigration en France comporte un paramètre colonial et post-colonial qui est majeur, mais il n'y a pas un lien de déduction entre l'histoire coloniale et l'histoire de l'immigration. Des Français se qualifient d'« indigènes de la République ». Comment expliquez-vous cette appellation ? La citoyenneté pleine et entière est la règle en France, et c'est le principe de l'intégration. Mais on voit bien que cette citoyenneté ne peut pas pourvoir à tout. Il existe, par exemple, des discriminations, des ségrégations qui frappent des personnes qui sont des citoyens. Et c'est pour cela qu'un certain nombre de Français, venant de l'immigration, se sont sentis discriminés, ségrégués, et qu'ils ont, soit sous la forme de ce mouvement (indigènes de la République, ndlr), soit sous d'autres formes, et ont cherché à défendre leurs points de vue particuliers. A la cité nationale de l'histoire de l'immigration, on prend en compte l'origine, la religion, la culture, alors qu'il y a encore quelques années on s'interdisait de le faire, dans la mesure où les principes républicains s'opposaient à ce que l'on fasse ces distinctions. Nous devons éviter les communautarismes, mais il faut aussi que nous soyons ouverts à la diversité de toutes les situations, que nous adoptions des politiques, des positions qui soient adaptées à chacune d'elles. Il y a deux formes d'universalismes : un universalisme qui est en quelque sorte impérialiste, qui veut imposer à tout le monde le même modèle au nom de la supériorité d'un certain nombre de valeurs. Il y en a un autre qui est, au contraire, ouverture, compréhension, échange. C'est l'universel tel que le définissait Senghor quand il disait : « l'universel c'est l'apport de tous . » C'est notre travail, en particulier dans la cité, de montrer comment l'universel dans la France d'aujourd'hui, dans la France depuis 200 ans, c'est l'apport de tous, et en particulier de tous les immigrés. Le film Indigènes de Rachid Bouchareb suscite un énorme engouement dans la société française, comme si les Français faisaient une découverte d'un pan de leur histoire. Comment expliquez-vous que ce film ait un tel écho en France ? S'il fallait une justification à la création de la cité nationale de l'histoire de l'immigration le film Indigènes nous l'aurait donnée, ou plus exactement la réaction devant le film, parce que l'opinion publique, les plus hautes autorités politiques ont semblé découvrir cette histoire, et ses conséquences politiques, sociales et humaines. Notre cité a justement pour but de faire en sorte que personne ne puisse plus jamais ignorer ce genre d'histoire. Cette espèce de divine surprise et la décision prise ensuite par le président de la République d'aligner les pensions sont la plus claire justification de ce que notre travail d'éducation, de pédagogie, de connaissance est absolument fondamental. Le concept d'immigration choisie, d'actualité, vous semble-t-il nouveau ? N'a-t-il pas déjà existé dans le passé ? Aujourd'hui, en Europe, de manière générale, on adopte des stratégies défensives face à l'immigration qui sont soit des stratégies sécuritaires, soit des stratégies légales, comme par exemple celles qui consistent à opter pour des quotas, des règles de sélection pour les immigrés. Dans toute l'histoire de l'immigration, il y a toujours eu à la fois des immigrations spontanées qui étaient soit des immigrations de misère, soit des immigrations de l'oppression politique. Et, à côté, des immigrations organisées soit par les Etats, soit par des grands secteurs industriels. L'histoire nous démontre que dans les politiques d'immigration, il faut qu'on sache d'abord adopter un double point de vue : le point de vue de sa nation, de son territoire, en l'occurrence du continent européen, et le point de vue aussi de ceux qui sont les immigrants. Il faut que la politique que l'on conduit soit une politique d'échange. On parle aujourd'hui de co-développement, la politique de l'aide au développement fait partie de toute politique d'immigration et d'intégration. Toute politique d'immigration qui est une politique de forteresse est vouée à l'échec. Toute politique d'immigration réussie comporte trois volets : l'intégration liée à l'immigration et non pas distincte ; le deuxième volet, c'est une politique d'immigration qui doit être faite en accord avec les Etats d'origine ; et le troisième volet, c'est que tous les Etats ont le droit de se défendre, et en particulier de lutter contre toutes les intrusions illégales, c'est en ce sens que je préconise que l'Europe toute entière se mette d'accord sur une politique à ses frontières, mais les trois volets sont indissociables.