Les déclarations du ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, faites jeudi dernier en marge des travaux de l'Assemblée nationale (APN), ont suscité la réaction du président de l'Association des magistrats révoqués, Mohamed Bakhtaoui. M. Belaïz avait affirmé que les décisions de révocation «ont été prises par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), composé par une majorité de juges. Le nombre de révocations depuis 2005 ne dépasse pas 64 cas». La «mise au point» du ministre est «totalement contestée» par Mohamed Bakhtaoui, qui persiste à affirmer que 237 juges ont été révoqués des rangs de la magistrature depuis 2004, précisant que «ce nombre a été révélé par des membres du CSM et concerne également les cas des juges ayant été mis arbitrairement à la retraite et ceux qui se sont vu notifier une mise à la retraite d'office avant l'âge légal. Ces décisions sont toutes des sanctions déguisées». M. Bakhtaoui explique qu'en matière de retraite, la chancellerie utilise «la politique des deux poids, deux mesures. Pour certains juges, elle a bloqué les dossiers jusqu'à la promulgation du statut des magistrats afin qu'ils bénéficient de l'intégralité des avantages, et pour d'autres, elle s'est empressée de les faire partir, les privant ainsi de tous les droits. Nous sommes prêts à rafraîchir la mémoire du ministre en rendant publics les noms de ceux qui se sont retrouvés à la retraite à l'âge où ils pouvaient vraiment servir la justice, et pourquoi pas le service de l'inspection générale». Il va plus loin en accusant le ministre d'avoir «fermé les yeux» sur des «erreurs très graves» commises par des magistrats qui n'ont jamais été déférés au CSM. Pour le président de l'association, la responsabilité de ces sanctions «incombe plus au ministre de la Justice et au 1er président de la Cour suprême, qui était directeur du personnel au ministère, qu'au président de la République qui, lui, ne fait que signer» la décision. «Les dossiers se préparent avant la réunion disciplinaire du CSM et les mis en cause sont souvent informés de la sanction avant même que cette haute instance ne statue. Pour ce qui est des délibérés du CSM, ils sont fictifs parce qu'ils ne sont que rarement discutés et quand il s'agit d'un dossier impliquant le ministre, il ne passe même pas par un débat. Mais puisque le ministre a impliqué directement les magistrats du CSM dans les révocations, nous laissons le soin aux mis en cause de répondre d'abord pour défendre leurs points de vue, mais aussi pour témoigner des graves dérives. Dans le cas contraire, la question est de savoir qui sanctionne, qui se pose avec acuité et nous incite à nous interroger aussi sur la représentativité des membres du CSM, les conditions de leur élection, notamment le lieu où se fait le dépouillement des voix lors du scrutin. Il n'est pas de notre volonté de laver notre linge sale en public, mais nous pensons que le CSM doit traiter les dossiers en toute objectivité et neutralité avant de prendre une quelconque décision.» M. Bakhtaoui revient sur la polémique autour du nombre de magistrats révoqués en rappelant au ministre qu'en 2005, le CSM était composé «d'une majorité» de directeurs centraux, et «une minorité infime» de magistrats. «Toutes les enquêtes sur les magistrats ont été menées par l'inspection générale, sur instruction du ministre. Qu'il affirme avoir relevé l'inspecteur général pour avoir offensé des magistrats et d'avoir installé un remplaçant en le sommant à plus de respect tout en insistant sur l'intégrité et la compétence chez les inspecteurs, prouve au moins que le ministre a une responsabilité dans les révocations et le sentiment d'injustice qu'elles ont suscités chez les victimes.» L'ancien magistrat indique que ses collègues, qu'ils soient membres du CSM ou du syndicat «ont une très grande responsabilité» dans la manière avec laquelle la carrière des juges est gérée. «Il est du devoir du syndicat de défendre les juges révoqués arbitrairement, sinon il n'y a aucune raison pour qu'il continue à exister.» Pour conclure, M. Bakhtaoui explique que sa réaction en tant que président de l'Association des magistrats révoqués n'a d'autre objectif que «de mettre les points sur les i» afin que le ministre «comprenne que ceux qui ont rejoint son organisation ont été injustement radiés des rangs de la magistrature pour des raisons qui n'ont aucune relation avec les activités professionnelles». A rappeler qu'une centaine de magistrats ont tenu le 5 mai une assemblée générale à Alger et annoncé la création d'une association nationale des juges révoqués, afin d'exiger leur réhabilitation.