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El Gueddafi ne restera pas sagement dans sa cage Vincent Bisson. Géographe et politologue spécialiste des pays arabes, chargé d'enseignement à l'Inalco (Paris)
Alors que l'OTAN a annoncé vouloir intensifier ses frappes sur le territoire libyen, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a demandé aux juges de délivrer un mandat d'arrêt contre le colonel Mouammar El Gueddafi pour crimes contre l'humanité. Reste à définir quelles répercussions ces évolutions auront sur le régime du «guide» libyen. - L'OTAN a déclaré cette semaine vouloir multiplier ses frappes. Pensez-vous que l'on s'achemine vers un enlisement de type afghan, ou, qu'au contraire, le régime libyen ne dispose pas de suffisamment de ressources pour faire face plus longtemps à la coalition occidentale ? Les conditions d'intervention en Libye et en Afghanistan ne sont pas comparables. Dépourvue de profondeur stratégique, la Libye est aussi très urbanisée (88% d'urbains), tandis que l'essentiel de son territoire est plat, exposant les forces loyalistes aux frappes aériennes. C'est pourquoi, elles se regroupent désormais en ville. Dans le ciel, la coalition échappe à une guérilla urbaine à l'irakienne, laissant aux rebelles le soin de «libérer» les villes. Mais l'arsenal libyen, même en partie obsolète, est encore trop puissant pour que la rébellion l'emporte. Par ailleurs, si El Gueddafi conserve des soutiens, c'est par peur ou appât du gain, non par endoctrinement à la talibane, tandis que sur le terrain, leurs adversaires sont libyens, pas américains ou français. Assurément, la mise hors-jeu d'El Gueddafi changerait la donne. C'est le pari que fait la coalition en multipliant ses frappes et en misant sur un non-dit : l'élimination physique d'El Gueddafi. Mais elle doit faire vite, car bombarder des villes fait des victimes civiles et alimente la propagande du régime. - Le procureur de la CPI a demandé le 16 mai l'émission d'un mandat d'arrêt à l'encontre de Mouammar El Gueddafi pour crimes contre l'humanité. Cette demande peut-elle affaiblir le régime, notamment en précipitant les redditions ? Le processus, engagé en fait dès le 26 février par le Conseil de sécurité, a déjà atteint l'entourage d'El Gueddafi, notamment avec la fuite de Moussa Koussa, ministre des Affaires étrangères et ex-chef des services de renseignements. Si elle était confirmée, la fuite de Choukri Ghanem, ex-Premier ministre et proche de Seïf El Islam, serait un nouveau coup dur pour le clan El Gueddafi. Mais le recours à la CPI était aussi une manière de dire au guide que, cette fois-ci, il n'y aurait aucune rédemption possible. - Certains spécialistes évoquent la solution de la partition du pays. Pensez-vous que cette solution soit envisageable ? C'est une fausse solution, qui passe sous silence 40 ans de construction nationale et ne résoudrait rien. El Gueddafi, qui s'est toujours senti à l'étroit dans son pays, ne restera pas sagement dans sa cage. Pour ses voisins, ce serait une menace constante. En fait, faute d'avoir pu observer de l'intérieur l'évolution de la société libyenne, d'aucuns se raccrochent à ce qui était supposé faire son assise avant 1969 : le tribalisme. Or, quatre décennies de régime «révolutionnaire» laissent des traces. Au sein des congrès et comités populaires, des liens se sont tissés, des réseaux se sont édifiés. Et les opposants au régime ne se trouvent pas qu'en Cyrénaïque. Des clivages existent, mais ce ne sont plus forcément ceux qui prévalaient en 1969. - Peut-on craindre une résurgence des activités terroristes dans les pays voisins, notamment avec le trafic d'armes qui s'opère en Libye et la mort du chef d'Al Qaîda ? Que des membres d'AQMI cherchent à profiter de la situation ne fait pas de doute. Qu'ils parviennent à s'emparer et à user de matériels aussi sensibles que des lance-missiles sol-air est une autre affaire qui, hélas, ne pourrait être confirmée qu'à l'usage. L'inquiétude, notamment des autorités algériennes, est donc légitime. En revanche, la disparition de Ben Laden en plein «printemps arabe» tend à déstabiliser AQMI. Sans doute ses unités combattantes, dont la tendance à l'autonomisation devrait se renforcer encore, seront-elles tentées par des coups d'éclat pour mieux se faire entendre. Mais leur combat semble plus que jamais d'un autre temps.