La révolte populaire dans le monde arabe, l'avenir de la région et le rôle des Occidentaux, en particulier les Etats-Unis d'Amérique, dans l'échiquier politique régional… Ce sont autant de questions qui taraudent les esprits des Algériens, qu'ils soient hommes politiques, universitaires ou simples citoyens intéressés par l'évolution de la situation dans la région. Ils cherchent des éléments de réponse, des analyses qui les éclaireront, un tant soit peu, sur l'événement de l'année : la révolte des peuples arabes contres les régimes autoritaires qui les ont gouvernés pendant plusieurs décennies. Et la nouvelle édition du forum, Les débats d'El Watan, organisée dimanche 23 mai 2011 à Alger, sous le thème «Maghreb-Machrek : entre vague démocratique et reflux autoritaire», était, pour eux, une occasion de poser leurs questions et de recevoir des réponses d'une spécialiste : Bessma Kodmani, politologue et directrice du centre de recherches Arab Reform Initiative. Ils n'ont pas été déçus. En observatrice avisée de l'évolution rapide et surprenante de la situation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Bessma Kodmani a répondu, sans détour, à toutes les interrogations de la salle Cosmos de Riadh El Feth à Alger. Du Maroc au Yémen, en passant par l'Algérie, la Tunisie, la Libye, l'Egypte et la Syrie, la conférencière a conduit l'auditoire au cœur même des vieux systèmes politiques qui ont perdu ou commencent à perdre les commandes. Ainsi, la première interrogation de l'assistance porte sur la nature des révolutions tunisienne et égyptienne. «Pas de manipulation des mouvements en Tunisie et égypte» Y a-t-il une manipulation derrière les révoltes tunisienne et égyptienne ? Et à Bessma Kodmani de rejeter, d'emblée, toutes les spéculations à ce sujet. «Les mouvements en Tunisie et en Egypte ne sont ni manipulés ni récupérés», assure-t-elle. Les révoltes dans les deux pays ont été menées par un «acteur essentiel», qui a surpris tout le monde, y compris les Occidentaux, «le peuple». Mais l'issue de ces révolutions reste pour le moment inconnue. Seront-elles détournées par les mouvements islamistes ou les militaires ? «Nous ne savons rien pour le moment», rétorque-t-elle. Bassma Kodmani se dit, toutefois, «prudente face au discours développé jusque-là et qui attire l'attention sur la dangerosité du ‘monstre islamiste' qui risque de s'emparer de l'acquis de la population dans les deux pays». Pour elle, ce discours «est très dangereux». «Nous aurons des islamistes qu'on le veuille ou non. Mais, le report avec ce mouvement est tributaire des règles du jeu qui seront mises en place en Tunisie et en Egypte», lance-t-elle. Quid de la séparation de la religion de l'Etat ? Cette question peut être traitée différemment et selon les pays. «La séparation de la religion de l'Etat sera traitée selon les pays. Il y aura une différence entre la Tunisie et l'Egypte. En Egypte, il y a un consensus autour de l'importance de la charia et l'article 2 de la Constitution du pays qui stipule que les lois du pays seront inspirées de la charia est intouchable», souligne-t-elle. Abordant le rôle de l'armée après la chute des régimes dans les deux pays, Bessma Kodmani précise que le processus de mise en place des institutions civiles va prendre du temps. Ainsi, l'armée ne tombera pas de sitôt sous le contrôle des institutions civiles. «Les USA n'ont pas eu ce qu'ils voulaient en égypte» Répondant à une question sur le rôle joué par les Américains dans cette nouvelle situation dans le monde arabe, la conférencière affirme que le poids des USA est toujours important en Egypte. Toutefois, la première puissance mondiale n'a pas tiré profit de la révolution dans ce pays. «Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que les USA ont eu ce qu'ils voulaient en Egypte», soutient-elle. Selon elle, l'Administration américaine a été également contrariée par le verrouillage du système Moubarak. «L'Administration US était frustrée par le fait que le pouvoir égyptien est géré par une poignée de gens et par le verrouillage du système de ce pays qui a tout fait pour baliser le terrain à l'intronisation du fils de Moubarak, notamment depuis les législatives de 2010. Pour les USA, c'était trop dangereux», estime-t-elle. Dans le reste des pays arabes, ajoute-t-elle, les régimes qui n'ont pas réussi à moderniser leurs sociétés seront, sans nul doute, confrontés au même type de révolution. Et seuls les régimes ayant des ressources financières réussiront à se maintenir plus longtemps. «Ceux qui ont les ressources financières pour noyer la demande sociale vont se maintenir au pouvoir un peu plus longtemps que les autres. Mais, même ceux-là ne sont pas à l'abri. L'intervention de l'Arabie Saoudite au Bahreïn risque d'irriter la communauté chiite du pays qui est moins importante, mais qui risque de devenir scissionniste», dit-elle. «En Algérie, le peuple peut nous surprendre» Invitée à s'exprimer sur les cas de l'Algérie et du Maroc, Bassma Kodmani affirme que les régimes de ces deux pays ont beaucoup de similitudes avec ceux de l'Egypte et de la Syrie. Pour le moment, explique-t-elle, «l'acteur» qui était à l'origine des révolutions en Egypte et en Tunisie, en l'occurrence «le peuple», ne s'engage pas pour le moment. «Mais il peut nous surprendre», avertit-elle. En revanche, le Maroc est face à deux vrais tests. «L'enjeu de la révision de la Constitution au Maroc concerne d'abord les prérogatives du roi et la possibilité de contrôler les gestions des ressources du pays. Je crois en les capacités du peuple marocain à se mobiliser. Mais le débat est reporté jusqu'au lendemain de l'adoption de la nouvelle Constitution», indique-t-elle.