Amer Mesbah est politologue et enseignant à la faculté des sciences politiques d'Alger. Chercheur en relations internationales, il suit de près l'évolution de la situation politique, économique et sociale dans le monde, et particulièrement l'état du monde arabe. Il nous livre son analyse sur ce qui se passe en Egypte. Les manifestations populaires prennent de l'ampleur, la répression aussi. Quels sont les risques que peut induire pareille situation dans le plus grand pays arabe ? Ces manifestations surviennent, comme par hasard, dans les pays connus pour être des amis et des alliés des Etats-Unis. Hier, c'était la Tunisie, aujourd'hui, c'est le tour de l'Egypte et de la Jordanie. Cela signifie qu'il y a une volonté des Etats-Unis – et de l'Union européenne aussi – d'encourager une certaine démocratisation de ces sociétés (les pays arabes, ndlr). La raison ? Les pays d'Europe et d'Amérique du Nord sont convaincus qu'ils sont ciblés par le terrorisme international pour leur soutien à des pays en faillite, dirigés en plus par des régimes impopulaires. Pour éviter que les attaques terroristes ne ciblent leurs territoires, et contenir l'expansion d'Al Qaïda à travers le monde, il devient impératif de réformer ces régimes. C'est ce qui s'est passé avec la Tunisie. Les Etats-Unis ont soutenu et encouragé la révolte populaire. Aujourd'hui, c'est tout l'Occident qui agit de la même façon avec les manifestants égyptiens. Pour ce qui est de la Jordanie, il n'y a pas encore eu de prise de position assez claire. Dans ce pays, la situation est plus délicate car le régime est très faible par rapport aux autres pays de la région. Vous voulez dire qu'il y a la main des Etats-Unis derrière la révolte ? Je dirais plutôt que nous assistons à un changement de position de la communauté internationale, en particulier des pays d'Amérique du Nord et de l'Union européenne vis-à-vis des gouvernements des pays du Moyen-Orient, dont le soutien n'a pas été d'un grand secours pour contenir Al Qaïda. Bien au contraire, ce soutien a provoqué l'effet inverse puisqu'il a présentement renforcé l'organisation de Ben Laden. C'est la raison pour laquelle ils ont préféré l'autre solution qui consiste à encourager la démocratisation de ces régimes, à appuyer les réformes démocratiques, à répondre aux attentes de la jeunesse… En gros, ils cherchent à libérer les classes populaires défavorisées de l'emprise idéologique d'Al Qaïda et des autres organisations armées islamistes à travers des réformes dont le but est d'assurer un minimum de justice sociale et d'équité dans la répartition des richesses nationales. Selon vous, l'Occident se préoccuperait moins de la situation désastreuse des populations arabes que de la propagation de l'idéologie d'Al Qaïda ? Que s'est-il passé jusqu'à présent ? Les Etats-Unis ont dans le passé soutenu à fond ces régimes pour contenir Al Qaïda, dans le cadre de ce que l'on a appelé la «stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme». Mais cette stratégie, qui visait en priorité à prémunir l'Occident des attaques de la nébuleuse dirigée par Ben Laden, a fait long feu. Comme je l'ai dit, c'est tout le contraire qui s'est produit, puisqu'Al Qaïda n'a fait que se renforcer depuis. Cela s'explique par le fait que les pays arabes sur lesquels reposait en grande partie cette stratégie ont failli sur tous les plans. Cette faillite, que les Etats-Unis n'ont pu empêcher, est à l'origine de cette formidable poussée d'Al Qaïda dans le monde. Les stratèges américains ont compris, dès lors, que de meilleurs résultats dans la lutte contre le terrorisme peuvent être obtenus par une démocratisation des régimes en question ou, à tout le moins, contraindre ces derniers à être à l'écoute des revendications de leurs populations. Quel avenir entrevoyez-vous pour ces régimes ? Les repères ne sont pas très clairs qui laissent entrevoir l'avenir de ces pays. Permettez-moi une digression : les médias américains ont démontré dans leurs analyses que l'agitation en Egypte n'est pas le seul fait des islamistes, comme prétendu, mais c'est tout le peuple égyptien avec ses chrétiens, ses pauvres, ses intellectuels, ses travailleurs et sa jeunesse qui s'est révolté contre l'arbitraire. Cette vérité est prise en compte par les décideurs au niveau européen et américain. Maintenant, quel peut être l'avenir ? Il semble que l'on s'oriente vers la démocratie dans ces pays, mais les Américains ont peur que ces pays tombent sous la coupe d'organisations extrémistes et deviennent donc un danger potentiel pour la sécurité de l'Occident. Le cas du Yémen est édifiant à ce sujet. Que pensez-vous de la coupure d'internet en Egypte ? Est-ce une solution ? C'est la solution des désespérés. C'est leur crédibilité qui part en fumée. Cette façon de traiter la crise est inadmissible pour leurs alliés.