Le passage, la semaine dernière à Alger, du Premier vice-président de la Banque mondial, François Bourguignon, a mis la lumière sur les inégalités qui minent le développement, thème du rapport 2006 de la banque. Mais quel est donc parmi tous les accès aux « facilités » - éducation, santé, revenus, etc. -, qui permettent de donner une chance à chacun et de créer de la mobilité sociale, celui qui est revenu le plus fréquemment dans la discussion avec l'économiste en chef de la Banque mondiale ? Celui de l'accès inéquitable au crédit. Cela tombait sous le sens lorsque les deux semaines précédentes ont été marquées par des affaires de crédits frauduleux portés au préjudice de banques publiques. Il faut ici rendre d'abord justice au malthusianisme du système bancaire public : avant d'être inéquitable, l'accès au crédit est rare en Algérie, au profit des particuliers qui veulent investir ou construire leur maison. On pouvait ainsi apprendre à cette occasion que le taux du crédit hypothécaire rapporté au PIB du pays est, en Algérie, inférieur à 8% lorsque la moyenne de ce taux pour les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord tourne autour de 25% du PIB. Le financement par le crédit hypothécaire accuse un étourdissant retard. La faute aux seules banques ? Pas certain. Longtemps durant, le vieux réflexe paysan de méfiance à l'égard de l'usure a prévalu sur les engagements de dépenses des Algériens qui n'ont pas oublié - dans leur mémoire collective - que beaucoup de leurs aïeuls ont été dépossédés de leurs terres par le colonialisme non pas directement par la violence, mais plus subtilement par l'usure. Une fois cette observation établie, il reste évident que l'accès au crédit est l'une des sources discriminantes majeures du système de création « des élites économiques » en Algérie. Au XVIIe et XVIIIe, l'esclavage et la rapine faisaient le bourgeois gentilhomme de Nantes ou de Porsmourth ; dans les années 90 du XXe siècle, les privatisations font des oligarques en Russie ; dans le même temps, les crédits bancaires fabriquent les prochains riches en Algérie, sans certitude pour autant qu'ils fabriquent aussi de l'activité, de l'emploi et de la croissance économique. De manière générale, il est maintenant vérifié que l'inégalité de l'accès au crédit sape les bases d'une croissance durable et donc du développement. François Bourguignon cite l'exemple d'une personne de milieu populaire qui se présente avec une très bonne idée de projet qui va rapporter 100 % de marge bénéficiaire , et quelqu'un d'autre plus conforme au profil du client privilégié qui se présentera avec un projet qui rapportera à peine 10 %. C'est le second projet qui sera financé par la banque et pas le premier. Ce qui est une mauvaise chose pour la croissance du pays. Mais là où le procédé devient totalement paralysant, c'est lorsque nous sommes devant des phénomènes de « captage de la rente » par des groupes d'intérêts qui reproduiront, « en s'appuyant sur le pouvoir politique », l'avantage économique qu'ils détiennent. L'affaire Badr-Tonic emballage est le cas d'école du captage de la rente acheminée par le crédit bancaire. Quel est l'Algérien qui peut lever un crédit de plusieurs dizaines de milliards de dinars - l'investisseur en reconnaît au moins trois et demi - pour, disons, autre chose que développer un gisement de pétrole déjà découvert et dont il peut hypothéquer le permis d'exploitation ? Djerrar Abdelghani, DG de Tonic emballage, a annoncé, à l'occasion de l'inauguration de son complexe papetier à Bou Ismaïl, « sa bonne foi » pour rembourser son partenaire bancaire. Les experts financiers sont très sceptiques. Pour un seul crédit gargantuesque absorbé dans un seul projet industriel et sans doute largement évaporé, combien de centaines de crédits hypothécaires refusés pour des investissements mieux proportionnés et sans doute plus profitables ? L'équité dans l'accès au crédit : un mot d'ordre qui arrive déjà en retard en Algérie, un peu comme François Bourguignon à la tête du staff des économistes de la Banque mondiale.