Suite à l'interview qu'il a eu l'amabilité de nous accorder, et parue dans l'édition d'El Watan du jeudi 26 mai 2011, l'historien Mohamed Harbi a tenu à apporter les précisions et le complément d'informations suivants : «J'ai pris connaissance de l'interview que je vous ai donnée. Permettez-moi d'y apporter quelques précisions : 1/Le choix des titres et des sous-titres a été fait par la rédaction. Je n'en suis donc pas le responsable. 2/ Je ne pouvais dire que « les archives françaises qui seront ouvertes en 2012 « sont sensibles et explosives » ». Elles sont accessibles depuis plusieurs années mais elles ne sont pas toutes libres à la consultation. 3/ La mise en cause d'un dirigeant de premier plan comme Krim par Bentobbal, dont les « Mémoires » gagneraient à être rendues publiques, doit être contextualisée. Elle est intervenue après la mini-crise de direction qui a suivi le meurtre d'Abane Ramdane. Si j'ai évoqué cet épisode, c'est pour mentionner qu'il y a dans la sphère politique des antécédents aux règlements de compte selon des méthodes maffieuses et non pour discréditer un homme à qui l'Algérie doit beaucoup. De tels épisodes ne doivent pas être occultés si on veut « civiliser » et réguler le jeu politique. 4/ la réponse à la question sur « les trois tabous » que vous avez évoqués appelle une clarification. En occultant une partie de son histoire, l'Algérie s'est condamnée elle-même à l'enfermement. Prenons par exemple l'histoire de l'Eglise d'Algérie. Les tentatives d'évangélisation ont laissé chez les Algériens vaincus des souvenirs douloureux. Est-ce une raison pour taire les efforts de cette église pour s'algérianiser et s'intégrer à la nation, le rôle de ses prêtres et de ses séculiers dans la résistance ? Ce faisant on a laissé la porte grande ouverte au fanatisme, à l'intolérance et aux assassinats. C'est en pensant aussi à cela que j'ai répondu à votre question sur les trois tabous. Le remède aux dérives du fanatisme religieux est complexe. Il requiert un système éducatif autre, un personnel enseignant gagné aux valeurs humanistes et un aggiornamento de l'islam. Sur la question des harkis, je me suis souvent exprimé. Je ne plaide pas, comme pourraient le croire des gens de mauvaise foi, l'innocence. Mais un historien sérieux et un patriote soucieux de la cohésion nationale ne peuvent pas accepter dans l'examen d'une question coloniale la mise en œuvre d'une grille d'explication privilégiant le couple collaboration-résistance. Il est grand temps d'arracher le destin de l'Algérie au flot des légendes pieuses et « aux brumes des mythologies qui le masquent de toute part ». Il ne faut pas oublier qu'au-delà de ce qu'on appelle parfois légitimement la collaboration, l'attitude des Algériens s'est surtout caractérisée par une multitude de tactiques visant à s'y soustraire, tactiques qui expliquent l'échec de l'Etat colonial à parfaire sa domination sur notre société. 5- Une vision saine de l'attitude des Algériens pendant la guerre de Libération doit inclure toutes les données disponibles. Je reproduis, ci-joint un tableau établi par le Professeur C.R. Ageron, tableau qui appelle débat, confrontation et éventuellement correction. «Musulmans algériens» appelés dans l'armée française de 1956 à 1961 (inclus) Assujettis : environ 600 000 Convoqués devant les conseils de révision 402 830 Incorporés En six ans (1956-1961) 107 455 ( ?) Total cumulé de 1952 à 1962 123 000 Incorporés (autre source) 1956 : 9 100 1957 : 14 000 1958 : 15 900 1959 : 28 800 1960 : 26 500 1961 : 22 260 Total : 116 560 Déserteurs De novembre 1954 à mars 1962 : 11 275 ( ?) ou 14 739 ( ?) Militaires de l'ALN « ralliés » aux forces françaises ou retournés (jusqu'en janvier 1962) : 6 122 Recensement du ministère algérien des anciens combattants (établi en 1974) Ayant appartenu à Vivants Tués Total l'Armée de libération nationale 60 895 71 395 132 290 l'organisation civile du FLN 122 990 81 468 204 458 Total 183 885 152 863 336 748
Effectifs globaux de Musulmans algériens servant dans des formations dites civiles ou militaires du côté français. I-Formations militaires (appelés, engagés, militaires d'active, officiers, sous-officiers, hommes de troupes) au 1er janvier 1956 37 000 au 1er janvier 1959 41 500 au 1er janvier 1957 20 000 au 1er janvier 1960 53 500 au 1er janvier 1958 25 000 au 1er janvier 1961 61 500 II- Supplétifs civils ou militaires au 1er janvier 1956 4 300 au 1er janvier 1959 73 000 au 1er janvier 1957 34 500 au 1er janvier 1960 118 350 au 1er janvier 1958 50 000 au 1er janvier 1961 116 000 total au 1er novembre 1960 : 177 500 hommes
Effectifs de l'ALN évalués au 1er novembre 1960 par le Deuxième Bureau : 46 500 dont 9 000 au Maroc 17 500 en Tunisie 20 000 en Algérie Effectifs des soldats de l'ALN tués au combat (source militaire française) 2e Bureau 3e Bureau 1954 : 76 1955 : 2 786 1956 : 16 553 1957 : 32 088 1958 : 30 686 1959 : 26 339 1960 : 19 723 1961 : 13 253 Total officiel : 141 504 total pour 1954-1962 : 143 678 A comparer avec les 152 863 combattants civils et militaires enregistrés par le ministère algérien.