Un établissement sanitaire envahi par le béton. Officiellement ouvert en mars 1933, l'hôpital Frantz Fanon de Blida (ex-Joinville) n'est plus qu'un vieux souvenir dans l'esprit de ceux qui y ont travaillé il y a plus de 30 ans. Aujourd'hui, il a cédé sa place au CHU de Blida avec ses nombreuses spécialités. La psychiatrie y est réduite à un petit établissement de santé au détriment de la vocation initiale de l'ex-hôpital Joinville et de sa grande réputation sur le continent africain et dans le monde arabe. Cet ancien asile psychiatrique était, selon les témoignages des mémoires vivantes, un vrai petit village qui permettait à ses patients une chance de rétablissement au sein d'une petite société composée essentiellement de personnel médical, paramédical et administratif. Aujourd'hui, il n'est autre qu'un chantier à ciel ouvert où les projets de nouveaux services poussent lentement. Seule une petite stèle, implantée à l'intérieur d'un jardin exigu, reste le symbole de ce grand hôpital. Aïcha et les autres… Au moment où l'hôpital psychiatrique se meurt, plusieurs malades mentaux errent dans la rue. «Nul ne peut nier la lourdeur de la souffrance mentale qu'a générée la décennie noire. Ceux qui n'ont pas perdu leur vie, sont aujourd'hui traumatisés ou ont complètement égaré leurs forces mentales», nous dit une psychologue. Aïcha en est des plus connues dans la ville des Roses. La soixantaine, seuls des vêtements usés, sales et mis sens dessus dessous couvrent son corps meurtri par les blessures de la vie. Personne ne sait d'où vient cette femme au visage blême et envahi de rides. Tout ce que nous avons pu rassembler sur elle, est qu'elle a fait son apparition dans la ville vers le début des années 1990. Ce sont seuls quelques courageux qui ont pu lui arracher son prénom. Le plus souvent, on la retrouve en train de fouiner dans les ordures. Selon ses propos, «elle fait le marché». Un autre, dont personne n'a pu connaître le prénom, a traîné durant plusieurs mois dans les rues de Blida. A moitié nu, il ne cessait de courir en criant, il semblait fuir un danger mortel que seuls ses yeux pouvaient voir. Il a fallu qu'un chauffard pressé mette fin à la souffrance de ce jeune, qui paraissait âgé d'une trentaine d'années. Par pur hasard, la mort a choisi de le prendre près de l'hôpital psychiatrique. Comme si ce jeune, avec sa mort, avait voulu attirer l'attention de toute la société et les responsables de la santé sur la nécessité de redonner à cet établissement hospitalier sa vocation initiale. A défaut d'une prise en charge psychiatrique au sein de l'hôpital, Aïcha et tous les autres errent dans les rues de la ville, lancent des injures, s'adonnent à la mendicité et vivent seuls leur pénible démence. Prise en charge hospitalière difficile Qu'ils soient à l'extérieur ou à l'intérieur de l'hôpital, les malades mentaux sont souvent source de gène et de peur pour les personnes «sawges». «La maladie mentale est considérée comme un tabou. On n'en parle jamais, et on croit que c'est incurable. Si le malade est bien pris en charge et n'est pas abandonné par sa famille, il a une grande chance de récupérer ses forces mentales et de réintégrer le monde réel», avait déclaré Dr. Chakali, psychiatre à l'EHS Frantz Fanon, lors d'une des rencontres annuelles sur la psychiatrie. Selon ce spécialiste, l'hospitalisation de tous les malades est quasi impossible. Cela est normal, puisque sur les 2200 lits que possédait l'hôpital psychiatrique lors de son ouverture, il n'en reste que 927. Ceux qui y sont hospitalisés, ne sont pas mieux lotis que ceux qui ne le sont pas. Mis à part l'assistance médicale dont ils bénéficient, la plupart se sont convertis à la mendicité. Les plus sages circulent dans l'hôpital et quémandent le prix d'une cigarette ou d'une tasse de café. Ceux qui ne sont pas autorisés à sortir, on les retrouve souvent accrochés aux barreaux des fenêtres et sollicitent des dinars des passants. Ce n'est pas tout, puisque l'assistance médicale et paramédicale s'avèrent insuffisantes. Mise à part les médecins traitant, une grave carence est constatée dans le nombre des infirmiers. Ces derniers subissent au quotidien une surcharge infernale. Ils sont seulement 170 infirmiers à affronter chaque jour plus de 1200 malades. Cette surcharge se fait lourdement sentir au point où un infirmier n'a pas trouvé mieux, il y a quelques mois, que de mettre fin à ses jours au sein même de cet établissement. Selon ses confrères, il souffrait d'un stress énorme qui commençait à prendre la forme d'un trouble mental. D'autres ont carrément fui les pavillons de psychiatrie en demandant des mutations vers d'autres services. Le moins que l'on puisse dire est que la situation est des plus précaires, et pour les malades et pour le personnel soignant. Des pavillons en dégradation et des projets de réhabilitation Vu que sa construction date de près de 80 ans, les 16 pavillons de l'ex-Joinville sont en état de dégradation avancée. Parmi les plus endommagés, le pavillon nommé Aslah. Ce pavillon souffre d'une surcharge terrifiante. Selon M. Tabèche, directeur de l'EHS Frantz Fanon, il est arrivé même à accueillir près du triple de sa capacité réelle estimée à 53 lits. Selon notre interlocuteur, 50 millions de dinars ont été réservés à sa réhabilitation ainsi que le pavillon Fekir. Concernant les autres problèmes dans lesquels est noyé cet établissement, le directeur annoncera qu'une opération de révision du système de chaufferie sera entamée dans les prochains jours. «Nous avons aussi lancé une opération de dotation de nouvelles tenues vestimentaires pour les malades» conclut-il.D'un autre côté, M. Zenati, directeur de la santé au niveau de la wilaya de Blida, avait déclaré que le problème de la carence en personnel paramédical sera réglé après la création de deux nouvelles écoles paramédicales à Blida (Beni Mered et El Affroun).