A voir les nombreux malades mentaux errer à travers les artères et ruelles de la ville de Blida, le visiteur non averti ne peut concevoir que cette ville avait abrité l'un des plus grands asiles psychiatriques du pays et même d'Afrique. Aujourd'hui, l'hôpital psychiatrique Frantz-Fanon, anciennement Blida-Joinville, se meurt après avoir fait l'objet d'un démembrement progressif depuis sa promotion au milieu des années 1990 en centre hospitalo-universitaire (CHU), qui l'avait amputé de la moitié de ses capacités d'accueil. Dès lors, sa vocation principale a cédé le pas à d'autres spécialités médicales dont l'introduction progressive de plusieurs disciplines médico-chirurgicales auxquelles sont venus par la suite se greffer le centre anticancer, qui, à lui seul, a pris deux pavillons de psychiatrie, et dernièrement l'Institut national du rein et l'hôpital de jour. Cette situation, que des psychiatres et, tout récemment, des membres de la commission chargée de la santé, de la solidarité et des affaires sociales de l'APW ont qualifiée de «dramatique», ne permet plus à cet établissement d'assurer une réelle prise en charge des malades mentaux même si les tendances de psychiatrie moderne vont vers une prise en charge extra muros, estiment des spécialistes en psychiatrie. Cette prise en charge exige toutefois, selon ces mêmes spécialistes, l'existence de plusieurs structures légères avec, à leur tête, des équipes médico-socio-éducatives assurant un suivi régulier des patients. Ce qui reste de l'asile psychiatrique est devenu autonome du CHU Frantz-Fanon depuis son érection au rang d'établissement hospitalier spécialisé (EHS), avec pour seule mission aujourd'hui la lutte contre les maladies mentales. Il mène des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale et compte actuellement quatre services et 16 pavillons d'une capacité d'accueil de plus de 1.000 lits. L'effectif global de cet établissement avoisine les 450 personnes entre médecins, personnel paramédical, technique et administratif. Jadis, cet hôpital, qui jouissait d'un cadre de vie propice à la sérénité et à la détente, était un véritable village doté de toutes les commodités pour le repos et les soins. Il y avait pratiquement tout, selon un ancien infirmier, actuellement en retraite. Outre des ateliers d'ergothérapie où tous les corps de métiers existaient, cet hôpital disposait également d'une ferme avec animaux qui assurait son approvisionnement en lait et en légumes et de plusieurs structures comme des salles de loisirs, une salle de cinéma, un terrain de football, une chapelle, une mosquée... Ses espaces ne cessent de se rétrécir Aujourd'hui, le patrimoine de cet hôpital continue de faire l'objet de convoitises et ses vastes espaces verts, qui faisaient sa renommée, ne cessent de se rétrécir comme une peau de chagrin en subissant des dommages répétés provoqués par des chantiers qui n'en finissent plus, perturbant ainsi la tranquillité et la sérénité des pensionnaires de cette structure hospitalière. L'idée de création d'un hôpital psychiatrique à Blida remonte à 1912 lorsqu'une commission, instituée à cet effet, avait projeté la réalisation d'un asile de 1.200 lits sur un terrain de 80 hectares. Ce projet a été abandonné avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale avant d'être repris en 1927, date à laquelle une structure d'une capacité de 100 lits a été construite. Cette unité, qui a connu par la suite plusieurs opérations d'extension, ne fut inaugurée officiellement que le 08 avril 1938 pour devenir l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. Mais ce n'est qu'après le passage du docteur Frantz Fanon, un ardent militant de la cause nationale, que cet hôpital passera à la postérité. L'histoire de cet établissement, qui a notamment inspiré Albert Camus dans son livre l'Etranger, a été marquée entre 1953 et 1957 par la thérapie révolutionnaire du docteur Frantz Fanon qui avait introduit de nouvelles méthodes de traitement des malades mentaux, dont la psychothérapie institutionnelle qui consiste à développer chez les malades des formes de vie collective favorisant leur resocialisation. Cette nouvelle thérapie a été l'une des grandes réussites médicales de Frantz Fanon à l'hôpital psychiatrique de Blida, une thérapie qui a été ensuite adoptée par les psychiatres en France, comme traitement conventionnel. A son arrivée à l'hôpital Blida-Joinville, Frantz Fanon libère les malades qui étaient enchaînés, introduit l'ergothérapie (thérapie par le travail) et la musicothérapie (thérapie par la musique) et fait jouer les malades au football. «C'était la grande révolution dans le domaine de la psychiatrie», estiment à cet égard des psychiatres. Agence