La logique rentière a un rapport négatif à la production du savoir l L'exil des compétences n'est pas un choix, mais souvent un renoncement et un sacrifice. L'université algérienne connaît une dégradation constante ponctuée de vives tensions depuis quatre décennies. Les effets de cette instabilité sont visibles à chaque rentrée universitaire et durant pratiquement toute l'année, tout au long de ces débuts du XXIe siècle. Cette situation, particulièrement dans son volet réformes, depuis 2004, fait l'objet de beaucoup d'écrits dont les jugements sont souvent d'une grande sévérité à l'égard de la gestion de l'enseignement supérieur. En 2011, la contestation de la démarche gouvernementale a débordé dans la rue où ont eu lieu des heurts parfois violents. Intervenant dans ces débats, le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREA) vient, lui, de mettre à la disposition de ceux qui s'intéressent à la question, un ouvrage collectif intitulé L'université algérienne et sa gouvernance. Fruit de l'observation et de l'analyse de sept chercheurs, le livre soumet à la critique, sous la direction de Mohamed Ghalamallah, la gestion de l'université sous neuf angles différents, Sadek Bakouche et Nacéra Mezaâche participant chacun avec deux études, dont l'une en arabe pour la dernière citée.Ghalamallah, maître de conférences au département de sociologie d'Alger, est l'auteur de l'introduction qui nous guide d'un apport à un autre. Il intervient, lui-même, avec une communication très dense avec l'objectif de situer et d'expliquer les véritables origines et la nature de la profonde crise de l'université algérienne. Dès l'introduction, Ghalamallah va direct au but : «La crise de l'université est ainsi analysée comme un révélateur de la crise plus profonde d'une société qui, faute de se doter des instruments cognitifs pour se connaître, s'est refusée la capacité de se gouverner efficacement et de se projeter dans l'avenir.» (p. 8) Dans son intervention développée en deux parties, s'étalant sur quarante pages, il se propose premièrement d'expliquer : «…Par la logique rentière sous-tendant le fonctionnement de la société, le rapport négatif de celle-ci au savoir.» Dans la deuxième partie, il essaie, «… A travers un bref rappel des conditions historiques dans lesquelles s'est construite l'université algérienne, de décrire les mécanismes internes de fonctionnement qui ont dévié celle-ci de sa vocation de savoir» (P. 17) Que l'on ne s'y trompe pas : en lisant Ghalamallah et les six autres chercheurs, on se rend compte que l'ouvrage est plus critique que ne le laisse supposer son titre. En fait, il met à nu d'innombrables aberrations observées dans la conduite de l'institution universitaire. On débouche alors sur une situation tout simplement effrayante, dont les caractéristiques principales consistent en un gaspillage monstrueux : la fuite des cerveaux, la quasi absence de production scientifique et technique ou encore la profonde faiblesse d'encadrement dans tous les domaines de la vie. En effet, la deuxième communication, celle de Karim Khaled, se penche justement sur un de ces aspects qui démontrent que la société politique tire le pays vers le bas, en poussant consciemment ou inconsciemment à l'exil une catégorie sociale capable pourtant de l'apport le plus rentable. A travers une communication intitulée «Ruptures et exils forcés des élites intellectuelles algériennes : cas des enseignants chercheurs installés en France», Khaled se penche, après une enquête de terrain réalisée auprès de diplômés universitaires, sur un drame à facettes multiples. Les gens n'ont pas choisi de partir mais, souvent, ont été contraints de le faire au prix de renoncements et parfois de sacrifices certains. Le drame est d'une amplitude beaucoup plus vaste lorsque l'on pense aux cruels déficits de gestion et ou de production du savoir ainsi qu'au vu des sacrifices financiers consentis par une société pauvre, qui n'arrive pas à se sortir du sous développement parce que ses compétences finissent dans les escarcelles de pays qui n'ont rien consenti pour les mériter.Dans un monde où se mène désormais une véritable «guerre contre le partage et la diffusion du savoir», ce dernier étant considéré comme une arme décisive, Arezki Derguini tente de sensibiliser à la rationalisation de la gestion de l'enseignement supérieur. Son étude est intitulée «Gouvernance des universités : de la massification à la diversification, transformer une faiblesse en force.» De même que pour la santé, si le savoir n'a pas de prix, il a néanmoins un coût. Sadek Bakouche traite à ce propos de «La réforme budgétaire dans l'enseignement supérieur en Algérie.» Et dans une deuxième étude, il soumet au diagnostic l'«Efficacité et l'efficience de l'enseignement supérieur en Algérie». De son côté, Nacéra Mezaâche intervient dans deux langues. En français, elle se penche sur les réformes universitaires en cours, dont le fameux LMD, avec une étude dont le titre est le suivant : «Réforme de l'université et changement institutionnel.» Avec la communication en langue arabe, Mme Mezaâche soumet à l'examen le présent de l'enseignement supérieur avec une étude intitulée «La gestion des institutions universitaires, réalités et perspectives». Youcef Berkane a titré son étude «L'université algérienne entre réalisations et défis.» Behdja Amrouni donne, elle aussi, une contribution en langue arabe. L'étude, pointue, a dirigé la recherche sur le fonctionnement de la scolarité et de la pédagogie dans l'enseignement supérieur. Mme Amrouni touche là à l'une des grandes faiblesses de l'université algérienne, soit la marginalisation des enseignants et son corollaire, l'absence d'autonomie dans laquelle est corsetée cette institution.L'Université algérienne et sa Gouvernance. Auteur : collectif sous la direction de Med Ghalamallah, éditions Cread, Alger, février 20011, 255 pages, 500 DA, disponible au Cread, à Bouzaréah.