De visu, nous estimons la part de l'informel dans le marché du café en Algérie entre 60 et 70%. » La déclaration est de Fouad Hamdani, directeur de la société tlemcénienne Africafé, qui active dans le secteur depuis 1975. Invité hier à Alger au siège de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA, filiale de l'UGTA), M. Hamdani, dont la famille travaille dans la torréfaction depuis 1880, dit ne pas comprendre que l'importation du café vert, matière première, soit dévolue aux « gens de l'extérieur du métier ». Un cas unique de par le monde, selon lui. « Nous avons saisi plusieurs fois le ministère du Commerce sur cette question. En vain », poursuit-il. Des importateurs distribuent la quantité qu'ils veulent et les revendeurs peuvent travailler sans facture. Alors que nous, gens du métier, les autorités du commerce et du fisc nous connaissent, nous sommes identifiables », appuie-t-il évoquant une « concurrence déloyale ». Un autre volet de la « concurrence déloyale », cité par l'entrepreneur, membre de la Confédération algérienne du patronat (CAP), concerne les aides dans le cadre de l'Agence nationale de soutien à l'emploi de jeunes (ANSEJ). « Il est aberrant de donner une unité de torréfaction, sans que les gens ne supportent de charges pour que certains d'entre eux puissent écouler leurs marchandises sous des emballages manuels et un conditionnement qui n'est pas aux normes, en employant à peine deux personnes, alors que moi par exemple j'en emploie 60, je paie mes charges et je contrôle mes emballages », lance M. Hamdani qui se demande pourquoi les autorités continuent de donner des agréments ANSEJ touchant un secteur en pleine saturation. Il avance que l'Algérie importe entre 100 000 t et 110 000 t de café vert par an. Les capacités, en théorie, des torréfacteurs, industriels, moyens et artisans, avoisineraient, selon lui, les 250 000 t annuellement. Soit deux fois et demie la demande. « Le marché est saturé », estime M. Hamdani qui dit importer lui-même la matière première. D'après ces chiffres, une quinzaines de torréfacteurs industriels, avec une capacité de production de 5000 t chacun par an, ont commencé à prendre de l'ampleur depuis ces dix dernières années en acquérant des moyens technologiques. Au second palier se placent les 130 torréfacteurs moyens, avec des capacités de production oscillant entre 500 et 600 t/an par producteur. Viennent enfin les artisans, environ 1200, avec des capacités de production qui ne dépassent pas les 100 t/an. Ces statistiques restent approximatives, de l'aveu de M. Hamdani. « Sur les fichiers du Centre national du registre du commerce, on ne précise pas la nature et l'envergure du torréfacteur », dit-il. Autre biais du marché algérien du café reste sa catégorisation en tant que produit de luxe, selon les termes de M. Hamdani : « Nous devons payer 30% de droits de douane plus 10% de la taxe intérieure de consommation (TIC), cette dernière est réservée aux produits tels les spiritueux, c'est une erreur de considérer le café comme un produit de luxe ». « Le Trésor public engrange 6 milliards et demi de dinars annuellement grâce aux différentes taxes sur le café », indique l'industriel. L'Algérien, grand consommateur ? Selon les chiffres présentés par M. Hamdani, l'Algérien consommerait 3 kg de café par an. Le voisin marocain en consomme 1 kg annuellement. Alors que le lointain Finlandais ingurgite 13 kg par an et l'Américain 5 kg par an. Tout semble relatif. Le café englobe deux variétés, l'arabica et le robusta. Ce dernier, surtout celui originaire de Côte d'Ivoire, est prisé par les Algériens, selon M. Hamdani. L'arabica est coté à la Bourse de New York alors que la variante préférée des Algériens est cotée à la Bourse de Londres. Le café est la première denrée agricole échangée dans le monde, la deuxième matière première commercialisée à travers le globe et représente 4% du commerce mondial des produits alimentaires. La production mondiale a plafonné à 4 500 000 t d'arabica et à 2 500 000 t de robusta. Un stock de 900 000 t est maintenu à travers plusieurs grands ports du monde pour réguler le marché en cas de gros déséquilibre des cours. Son prix à l'importation dépend des cours de la Bourse et des charges en traders, les intermédiaires dont le rôle est de maintenir les marchés dans les pays d'origine de la matière première. Le marché est donc assez fluctuant, pourtant le prix de la tasse de café reste globalement fixe, entre 10 et 15 DA. « Les différentiels dus aux fluctuations mondiales sont supportés en grande partie par le torréfacteur et, à un degré moindre, par l'importateur », indique M. Hamdani qui explique que le marché algérien est plutôt preneur de la qualité « Rio », le robusta brésilien de moindre prix avec 1600 dollars la tonne. L'une des meilleures qualités du robusta, le colombien, coûte jusqu'à 2300 dollars la tonne. La torréfaction ne permet de récupérer que 80% de la quantité de café traité, ce différentiel structure également le prix de revient au kilogramme ou à la tasse. L'éventualité d'entamer des échanges directs avec le plus grand producteur de robusta, le Vietnam, dans le cadre de la reconversion de la dette pétrolière de ce pays envers l'Algérie, peut augurer de meilleurs lendemains pour les tasses noires algériennes. L'importation pourrait ainsi se passer des marges dévolues aux traders et peut-être, à terme, sortir du système de trust mondial. Les fluctuations d'un marché mondial en crise de surproduction se passent au profit des multinationales dont quatre se partagent plus de la moitié de la transformation et du négoce de café : Kraft, Nestlé, Procter & Gamble et Sara Lee qui affichent un chiffre d'affaires dépassant les 60 milliards de dollars, contre 30 milliards au début des années 1990.