A son actif d'écriture, quatre ouvrages publiés La femme algérienne en 1965, Les Algériennes en 1967, Une enfance singulière en 2003 et en 2005 Fadéla M'Rabet publie Une femme d'ici et d'ailleurs aux éditions de l'Aube, en France. C'est un livre qui se situe entre entre la nostalgie et l'espoir, la mémoire et le présent, l'Algérie et la France, l'Europe et l'Afrique. La nostalgie d'une époque révolue est fortement présente, principalement lorsque l'auteur revient sur sa vie d'étudiante à Strasbourg, celle d'une des premières algériennes à étudier au-delà des mers, alors qu'elle est issue d'un milieu plutôt traditionaliste de Skikda, mais avec un père ouvert et tolérant, en tout cas un père qui souhaitait que ses filles réussissent leur vie. C'était pendant la guerre de libération, et Fadéla M'Rabet a connu les premiers moments de militantisme pour l'indépendance de l'Algérie. En effet, elle a fait la grève des étudiants algériens, participé à des réunions de militants FLN à Strasbourg, renvoyée d'un collège où elle était maîtresse d'externat pour ses activités nationalistes. Elle raconte ses péripéties, ses coups de cœur, ses déboires avec certains indics qui n'avaient aucun respect pour leurs sœurs algériennes et d'autres qui n'avaient aucun respect pour les femmes en général et traitaient avec mépris ces Alsaciennes qui sortaient avec eux. De cette expérience de vie d'étudiante loin du pays natal, elle se rappelle surtout l'apprentissage de son individualité en tant que femme, car elle se sentait libre : « En Algérie, je me percevais comme une figurante. A Strasbourg, auprès de mes camarades d'études, je me suis sentie sujet... Je les ai tous perçus, les filles surtout, comme des personnes uniques. Alors que je venais d'un pays où les hommes comme les femmes semblaient interchangeables. » C'était en 1954. Le Strasbourg de l'époque était une nouvelle naissance pour la jeune étudiante, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan politique et militant. Fadéla M'Rabet raconte tout cela dans ce livre qui n'est ni une autobiographie claire ni un essai sur le traitement de la femme par des hommes machistes. Dans le registre mémoire, elle raconte la construction de la femme qu'elle est devenue grâce à sa rencontre avec son mari, Tarik Maschino. Quand Tarik (Maurice) Maschino écrit L'Algérie retrouvée, il parle de Fadéla M'Rabet, et lorsque Fadéla écrit, Une femme d'ici et d'ailleurs elle parle de Tarik. Ce constat est sans ironie, car on sent que leur histoire d'amour a été vécue, au-delà de l'amour, comme un défi contre l'intolérance, la stupidité sectaire et le racisme. En effet, l'opinion politique, l'attitude politique, les idées et les opinions de l'un et de l'autre, la manière d'y être fidèle, d'avoir des principes et d'y tenir, tout cela a été fondamental dans leur rapprochement et leur union qui dure toujours et donc qui donne raison à la volonté de surmonter les obstacles lorsqu'on est certain de ses sentiments et de ce que l'on désire dans la vie. Une belle leçon pour les jeunes filles d'aujourd'hui qui devraient aller de l'avant et ne pas répéter les mêmes combats, en tout cas ne pas régresser. Seulement, avec les montées du sectarisme et de l'intolérance, il semble qu'il y a comme un retour en arrière. Dans ce sens là, l'ouvrage de Fadéla M'Rabet peut être un repère pour la lutte des femmes algériennes pour leur liberté. D'ailleurs, lorsqu'elle évoque l'Union des femmes algériennes des années 1970, elle décrit ces représentantes comme étant des bourgeoises qui ne s'occupent que d'elles-mêmes. Elles sont ces « dames patronnesses » qui manifestaient pour la libération du Mozambique et de l'Angola, mais pas pour celle des Algériennes. « Cette Union des Femmes, rappelle-t-elle, avait tout fait pour la discréditer lorsqu'elle avait publié son premier ouvrage sur la condition de la femme en Algérie ». A l'époque, il ne fallait pas trop critiquer les traditions. Même si depuis, de grands progrès ont été faits au niveau individuel, mais individuel seulement, au niveau social global il reste beaucoup à faire. Au niveau politique la situation n'est pas brillante, et il est étonnant que Fadéla M'Rabet n'évoque pas dans cet ouvrage le code de la famille qui est une négation de la femme algérienne qui dans la pratique prouve sa force et sa volonté d'être actrice de son destin. Fadéla M'Rabet s'en prend beaucoup aux intégrismes de tous bords et accuse les femmes qui portent le hidjab de capituler, de cesser de se battre, elle écrit sans hésiter : « Ce sont des capitulardes ». Pour elle, ce voile devient un ghetto. Double ghetto dans les banlieues françaises par exemple, alors que des filles de la génération de leur mère se sont suicidées parce qu'on les retirait du lycée « pour les voiler et les marier » ! L'ignorance de la lutte des Algériennes pour leur liberté est souvent à la base de cette régression, aussi bien dans les banlieues parisiennes que dans les banlieues algéroises. Fadéla M'Rabet dénonce aussi le sort réservé aux Africaines qui sont maltraitées par des hommes qui se sentent forts et assurés dans leur supériorité. Elle dénonce la bigamie et parle de la solidarité des femmes africaines entre elles. La lutte pour la liberté et l'émancipation reste une lutte de tous les instants, car ce qu'on lit en filigrane, c'est la dénonciation des idées intégristes qui ne cessent de proliférer. L'ouvrage que vient de publier Fadéla M'Rabet aborde de nombreuses questions liées à la femme et son devenir par le prisme de sa propre expérience. Ce livre aurait gagné à être plus centré sur un thème, une idée directrice. Cependant, il faut souligner que la colère et la révolte restent intactes chez cette féministe de la première heure. En effet, la liberté est son pays ! Fadéla M'Rabet, Une femme d'ici et d'ailleurs, Paris, L'aube, 2005.