A travers ce récit de 107 pages, notre féministe rend hommage à sa grand-mère et ces femmes courage qui n'ont jamais abdiqué devant le malheur... Dans Une femme d'ici et d'ailleurs (2005), l'auteure Fadéla M'Rabet dit: «La cité est le théâtre d'une comédie permanente, celle de l'être par le paraître.» Dans Une Enfance singulière (2003) la grand-mère est le personnage central de son livre. Aussi, dans sa dernière livraison parue à Riveneuve Editions, notre écrivaine, biologiste de formation et féministe avant l'heure, invoque encore le passé sous le visage de ces femmes qui l'ont aimée, ces «femmes du premier cercle, Djedda, Yemma, Nana...». Et d'affirmer, tout de go, à la page 19 de ce roman intitulé Alger un théâtre de revenants: «Djedda, c'était le temps où l'on s'aimait et où l'on aimait l'Algérie.» Dans ce récit de 107 pages, l'auteur de La Femme algérienne (1965) et Les Algériennes (1967) porte un certain regard nostalgique sur la période postindépendance et les belles promesses d'un lendemain enchanteur constatant avec stupeur «la névrose orientale collective» envers la femme d'aujourd'hui qui l'a réduite à un objet sexuel. Fadéla M'Rabet pourrait choquer par ses propos, mais ce ne sont pourtant que des vérités émises par une femme authentique qui ne se reconnaît plus dans la tenue de la majorité des filles d'aujourd'hui qui sont devenues des souks ambiants ou des SDF qui portent tout ce qu'elles possèdent sur le corps, sur le pantalon, une jupe, sur la jupe une veste, sur la veste un voile qui recouvre la tête et les épaules. Sous le voile un foulard qui enserre le front et écrase la chevelure. Elles portent des vêtements qui ne semblent pas choisis mais subis. Des effets pour cacher leur féminité, pour l'ensevelir, la détruire. «Excusez-nous d'être là, semblent-elles dire. Vous avez été si gentils de ne pas nous enterrer vivantes. Nous ferons tout pour ne pas vous déranger et mériter votre bienveillance. Encore une fois merci, merci mille fois de nous autoriser à survivre», écrit-elle à la page 29-30. Mme Fadéla M'Rabet dénonce aussi «la forfaiture envers la langue dialectale», sa langue maternelle, elle, fille de Skikda. «Toutes les phrases sont un patchwork de mots étrangers, pour la plupart français, défigurés, avec une syntaxe arabe approximative.(...) ce n'est pas une modernisation, ce n'est pas une revitalisation, c'est un remplacement de l'arabe par un français clochardisé.» L'auteure de Alger un théâtre de revenants évoque aussi le syndrome schizophrénique qui mêle à la fois désir et mépris envers l'«Européen» qui développe ce sentiment de culpabilité car se sentant heureux à Paris plus qu'à Alger. Ici, notre auteure qui vit à Paris veut comprendre le pourquoi de cette obligation d'afficher des airs d'exilée malheureuse pour justifier son statut d'immigrée. Aussi, dit-elle avec une franchise déconcertante: «Si les Algériens ne sont pas tous des féodaux, ils sont presque tous devenus névrotiques, les hommes comme les femmes.» Pour elle, les femmes sont les sourdes complices de leur domination par l'homme, par leur mutilation sexuelle. Et de relever cette contradiction implacable et vraie: «Par leur voile et leur maquil-lage, elles acceptent une double soumission, elles disent oui à leur discrimination et à leur statut d'objet sexuel. C'est une totale reddition.» Fadéla M'Rabet, au seuil du désenchantement, invoque l'hospitalité légendaire des femmes de naguère et la vanité des hommes d'aujourd'hui qui se fourvoient en ne pensant qu'à exister aux yeux de l'autre et non pas à penser ce que l'autre pense de nous. Sa grand-mère encore et toujours, est partout dans ce roman où la narratrice s'évertue à lui rendre hommage, à elle et ses amies, ces forces de la «nature». Ces grandes dames respectées par tous, qui ont toujours su résister aux vicissitudes de l'existence. L'écrivaine se remémore également l'époque où, à travers une émission de radio, elle tentait de donner la parole aux jeunes filles qui vivaient dans des conditions lamentables et où elle était décriée de toutes parts car on disait qu'elle encourageait les filles à la débauche. Rien n'a changé aujourd'hui, si ce n'est en pire, pense-t-elle. Elle souligne le machisme de la société arabe et maghrébine. Néanmoins, elle affirme à la page 64: «Il y a maintenant des hommes, même s'ils ne sont pas nombreux, qui sont prêts à les soutenir (les femmes), à condition qu'elles-mêmes soient prêtes à prendre des risques sans jamais transiger sur un principe fondamental, vital: le respect de soi et de l'autre.» C'est avec amertume, mêlée de joie faussée que Fadéla M'Rabet parle de l'aube de l'indépendance de l'Algérie et de ses promesses échouées, évoquant ainsi cette Algérie qui reste, dit-elle «la plus belle illusion de la vie». A côté de la déception, Fadéla M'Rabet convoque l'espoir et le courage des femmes en la personne de l'actuelle ministre de la Culture, Khalida Toumi, qui a su, selon elle, tenir le haut du pavé lors de l'événement phare de l'année 2009, à savoir le Festival culturel panafricain. Citant le rôle de la femme, laquelle est parvenue dans le monde à se hisser au rang de l'homme dans le travail en évoluant par exemple dans l'armée, Fadéla M'Rabet et qui revient à parler de la femme algérienne, n'hésite pas à rebondir, toutefois, sur l'éternel esprit obtus et macho de nos hommes, a fortiori, de certains serveurs zélés dont elle a fait les frais dans un hôtel, renommé chic pourtant de la capitale. Mais l'espoir est permis devant la splendide baie d'Alger en face de laquelle notre auteure finit de rédiger ces mots pleins d'espérance et de mélancolie.