Maître Bourayou se dit persuadé que les initiateurs de ce projet veulent placer le droit de la défense sous tutelle et normaliser la profession. L'heure est à l'unification des rangs. Les robes noires ont décidé d'oublier leurs divergences pour faire blocus contre le projet de loi régissant la profession d'avocat, présenté mercredi dernier par le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, devant la commission des affaires juridiques et administratives et des libertés de l'APN. Un projet qualifié par les avocats de rétrograde et de grave. Ainsi, la corporation des robes noires ne cache pas son inquiétude : si ce projet est adopté par les députés, ce sera là, de leur avis, une atteinte à l'un des derniers «bastions» de ce qui reste de la liberté d'expression en Algérie, et ce, dans son aspect judiciaire. Ces craintes et ces inquiétudes seront confirmées et réitérées aujourd'hui, lors de l'assemblée générale extraordinaire convoquée par le conseil de l'Ordre du barreau d'Alger et qui se tiendra à la salle de conférences de l'université de Bouzaréah. Des centaines d'avocats prendront part à ce conclave pour revendiquer le retrait pur et simple de ce projet, dont certaines de ses dispositions ont été contestées dans le fond et la forme par la corporation, dès que l'annonce a été faite. Que reproche-t-on donc à ce texte de loi ? Maître Bourayou est persuadé que les initiateurs de ce projet veulent placer le droit de la défense sous tutelle comme l'est la justice actuellement. «La profession d'avocat est régie par un conseil de l'Ordre, à l'instar des médecins et autres professions institutionnelles, nous refusons qu'une partie extérieure, en dehors de l'Ordre des avocats, intervienne pour normaliser la profession», s'en défendent les avocats. Catégorique, la corporation pense que si les députés venaient à approuver ce texte, la profession ne sera plus indépendante et libre. Atteinte aux droits de la défense Les avocats ne comprennent pas pourquoi on veut leur imposer un tel projet qui est diamétralement opposé au chantier des réformes politiques lancées par le premier magistrat du pays. «Au moment où l'on parle de réformes, d'ouverture politique, de débat contradictoire, on veut réformer l'Ordre des avocats mais dans le sens de la privation de toutes ses caractéristiques d'indépendance et de liberté», regrette Me Bourayou, soulignant au passage que le projet renferme des articles constituant une sorte d'emprise sur la liberté d'action de l'avocat. Ceci amène les avocats à douter de la sincérité du pouvoir quant aux consultations politiques entreprises en ce moment. «Si ce texte rétrograde est voté par les députés, comment peut-on accorder du crédit aux réformes menées par Bouteflika? Nous aurons ainsi la confirmation que rien ne va changer et qu'il s'agit là d'une simple démarche pour gagner du temps. De la poudre aux yeux», argue Me Bourayou. Interrogées sur le contenu des articles, objet de contestation, les robes noires évoquent les articles 9, 24, 124... qui font référence à d'éventuels incidents qui pourraient survenir lors des audiences et dont se rendrait coupable un avocat en plaidoirie devant le juge. «L'article 10 a été supprimé sur proposition des avocats, mais pour ces trois derniers, les propositions de la corporation ont été rejetées», notent des avocats. Selon les robes noires, l'article 24 dudit projet, qui contreviendra au droit à la défense ou à la mission de l'avocat, consacrés par la Constitution, stipule : lorsqu'une juridiction estime que l'avocat a failli à ses obligations professionnelles, le procureur général en informe le bâtonnier afin de prendre les mesures disciplinaires adéquates. Le bâtonnier peut, dans un délai d'un mois, soit décider de classer l'affaire, soit saisir le conseil de discipline. Mais dans l'attente de connaître la nature de la sanction, il est dit que l'avocat mis en cause sera suspendu et n'aura pas le droit de plaider. «Il s'agit là d'une atteinte aux droits de la défense et des justiciables», affirment les avocats. Selon le barreau d'Alger, l'article 24 accorde une certaine autorité disciplinaire du parquet et du ministère de la Justice sur les avocats. Les décisions et délibérations des assemblées et même le conseil de l'Union et l'assemblée générale des barreaux seront ainsi sous le contrôle du ministre de la Justice qui peut donc soumettre à la censure des juridictions administratives les décisions et délibérations des barreaux et de l'Union des barreaux. Aujourd'hui, les avocats arrêteront des actions à entreprendre en sus de la demande du retrait du texte de loi.