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La langue, le cœur et la mélancolie
Parution. La troisième moitié de soi de Mustapha Bouchareb
Publié dans El Watan le 21 - 06 - 2011

Oblique ou frontale, l'écriture correcte mais peu originale de Mustapha Bouchareb est trempée dans l'encre noire des chroniques algériennes de ces dernières années.
Le diable craint «les recoins sombres» de l'humain. Comme ce criminel, pas comme les autres, que Mustapha Bouchareb évoque dans la nouvelle La troisième moitié de soi qui donne le titre à un recueil paru dernièrement dans la collection Lettres du monde arabe de L'Harmattan (Paris). Saïf Bettal a défrayé la chronique. Commis d'office, l'avocat Farid Zandan, qui avait connu le présumé assassin, s'est rappelé d'un célèbre poème de Zoheir Ibn Abi Salma : «L'homme est pour moitié sa langue et pour moitié son cœur ; ce qu'il en reste n'est qu'une semblance faite de chair et de sang». «Le cœur, la langue et l'image faite de chair et de sang. C'était cette image, cette semblance, cette troisième moitié de soi, qui était à l'origine du drame», explique le narrateur. Saïf Bettal, camarade de campus de Farid Zandan, était l'époux de Dalila Charaf, amour d'enfance de Farid. Après une rencontre dans la rue d'une ville à l'étranger, ils s'étaient rapprochés et échangeaient des visites. Farid et Dalila étaient dans l'embarras, «en présence l'un de l'autre».
Et, fatalement, l'histoire va se compliquer… La jalousie aveugle les hommes et refroidit leur cœur. La vie en commun est, elle, porteuse de querelles. A Alger, Colombo ou Bogota ! Les humains sont ainsi faits. A Riyadh, Zor et Must se sont disputés sur le modèle de voiture à acheter, un 4x4 ! Les Saoudiens ont de l'argent, semble nous dire l'écrivain. Qui ne le sait pas ? L'auteur décrit, dans la nouvelle Une journée à Riyadh, la capitale de l'Arabie Saoudite sans le faire réellement. «On risque de s'engouffrer dans une embouteillage et d'y rester coincé pendant si longtemps», écrit-il. Même chose à Berlin, Tokyo ou Lagos ! «Zombies du siècle. La rançon de la vie moderne : tout le monde veut aller de plus en plus vite», ajoute-t-il. Must, un poète à ses temps perdus, écrit pour raviver les souvenirs…Plus tard, il fera un accident… La dispute est aussi présente dans Fin de contrat. Nadhir Birane a perdu son emploi après une querelle avec Rahim Mallam, son jeune collègue, «fils d'un personnage connu en ville».
L'administration n'a pas hésité à le mettre à la porte, après 35 ans de service. C'était suffisant pour que le cœur de Nadhir Birane, déjà rempli de tristesse, cessa de battre après trois jours. Le règne d'Ahmed Ouyahia, des années 1990, n'a-t-il pas été marqué par des compressions d'effectifs dans des centaines d'entreprises étatiques ? Ouyahia a-t-il entendu le cri d'un homme qui perd son emploi et qui n'a plus les moyens de nourrir sa famille ? Assurément, non ! La mélancolie continue de voyager dans l'œuvre de Mustapha Bouchareb, au fil des pages, des phrases et des demi-mots. Et qu'arrive-t-il lorsque un drame est annoncé à Alger ? Pour certains, le drame y est depuis longtemps.
«La peur qui s'était emparée d'Alger durait depuis des mois ; elle avait envahi la vie des gens avec la soudaineté d'une tempête de sable soufflant des profondeurs des terres…Des nouvelles invérifiables de massacres et d'exactions arrivaient avec les fuyards», raconte la narrateur de L'Enfer annoncé. A Alger, des femmes soldats sillonnaient la ville et des nouvelles terrifiantes d'invasions militaires étrangères et d'empoisonnement de l'air et de l'eau parvenaient à la population. La théorie de la peur a connu plusieurs applications sur les terres algériennes depuis des années : «Des sirènes avaient été installées un peu partout, et des employés municipaux zélés les actionnaient, plusieurs fois par jour…Toute la ville tremblait».
Terreur encore dans Séisme en mai, qui rappelle un certain Boumerdès 2003, devenue «Sed Maroub» dans l'histoire racontée par le nouvelliste (La justice a-t-elle fait quelque chose contre les entrepreneurs qui ont triché sur les matières de construction ?). Anwar n'a pas pu sauver sa famille, car la porte-fenêtre de son appartement du rez-de-chaussée était grillagée. «Tout Sed Maroub était devenu une prison», écrit-il. En raison de l'incapacité de la police à venir à bout des réseaux du vol à la roulotte dans les villes, les Algériens n'ont pas trouvé d'autres moyens que d'installer les barreaux aux fenêtres ! La Rose de Jaipur, qui ressemble à un petit reportage, raconte un voyage d'un journaliste en Inde. Cette nouvelle échappe à «l'ambiance lourde» des autres histoires…
La plupart des nouvelles de La troisième moitié de soi semblent être largement inspirées du vécu algérien de ces dernières années. Des chroniques gorgées de douleurs, de blessures, d'hypocrisie et d'amnésie entretenue. Un terrain fertile pour tous les écrivains et les artistes. Il reste que les nouvelles sont parfois écrites d'une manière brute, comme taillées dans de la pierre. Dans d'autres, le souci d'en finir est ressenti entre les lignes. Et dans d'autres encore, l'écrivain n'a pas pu «enrober» l'autobiographie au point que l'on a l'impression de voir évoluer le même personnage à travers les pages. C'est toujours bien de vouloir «casser» les règles de la littérature, mais il est risqué de forcer sur les traits, même si le livre est d'abord destiné au lectorat occidental.
Aussi, le recueil de Mustapha Bouchareb n'a-t-il pas une grande originalité à défendre de ce côté-ci de la Méditerranée. Diplômé en linguistique appliquée anglaise, l'écrivain algérien, Mustapha Bouchareb, est auteur de deux romans parus chez ENAL à Alger. Il s'agit de Fièvre d'été (1990) et Ciel de feu (1991). Il a également écrit Ombres dans le désordre de la nuit, un recueil de nouvelles paru chez Laphomic, à Alger, en 1989.


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