Après l'identité nationale, puis l'Islam, et sur fond perpétuel de dénigrement de l'immigration et l'intégration, la majorité présidentielle décide d'ouvrir le débat sur la binationalité. Un rapport commandé à la fin de l'année 2010 accable les populations extra européennes, en ciblant particulièrement les Algériens binationaux Lyon. De notre correspondant La question de la binationalité n'est qu'un prétexte pour remettre sur la sellette ceux dont la présence dérange. Ce qui gênerait finalement en France, selon la droite extrême rejointe par la droite populaire, ce n'est pas tant qu'il y ait des binationaux, mais que beaucoup soient Arabes, musulmans et, surtout, Algériens. La présidente du Front national a lourdement insisté sur ce point dans l'émission «Des paroles et des actes» sur France 2, jeudi soir. L'Algérie, toujours l'Algérie, cela devient une obsession aussi chez les transfuges de l'extrême-droite, comme le député Claude Goasguen, rapporteur d'une mission parlementaire, qui fait la part belle à sa propre vision étriquée, née dans les arcanes du mouvement nationaliste Occident, dans les années 1960, au lendemain de la guerre d'Algérie perdue, avant qu'il ne se recycle plus tard dans la droite classique. Le député manipule à sa guise les conclusions de chercheurs dont les études ne poussent pourtant pas à la caricature, comme par exemple Patrick Weill, ou Catherine Viltold de Wenden, fins spécialistes de la question de l'immigration. Au bénéfice de son projet, le rapporteur dévoie le sens réel de leurs interventions devant la mission parlementaire. Pourtant, Patrick Weill, dans Libération du mercredi 22 juin, fustigeait les intentions droitières de l'UMP : «Si le rapport était adopté en l'état… ce sont les fondements et les valeurs historiques de notre pays qui seraient alors directement mis en cause». Hormis cet aspect, la lecture du rapport est désespérante à plusieurs égards et d'abord pour le regard limité, raciste et xénophobe vis-à-vis des Noirs, des Arabes et surtout des Algériens. Ce qui est éprouvant, c'est l'insistance avec laquelle le rapport veut prouver contre toute réalité que le mal vient des populations «extra européennes» : «Des repères tombent ou se brouillent et des malaises identitaires s'expriment dont, en 2001, le match amical de football entre la France et l'Algérie a pu montrer l'acuité». L'auteur n'a pas digéré la fin de l'empire colonial : «La grandeur de la nation chantée par le ''roman national'' a été ébranlée au cours du XXe siècle». Il cite ainsi la décolonisation qui «s'est soldée par la défaite de la France à Diên Biên Phu en 1954 et par le retrait d'Algérie en 1962». Dès lors, postule-t-il «à l'aube du XXIe siècle, le concept de nation semble menacé par une ''sortie de l'histoire''». On passe vite sur les constats et on en vient aux remèdes proposés pour consolider la France menacée par les étrangers, car tout est de la faute des binationaux qui, à défaut d'être naturalisés, ne sont pas assez nationalisés. Où est donc le problème ? C'est la non intégration ! Vieille tarte à la crème à contre-courant du mouvement de brassage du monde. Pour prouver ses dires, Claude Goasguen cite largement une Française d'origine algérienne qui a rejoint depuis déjà quelques années la mouvance raciste : «La simple insertion dans la société apparaît même faire l'objet de refus croissant. L'éducation des enfants des dernières vagues d'immigration ne repose plus sur un socle de reconnaissance envers la France construit par les parents. Autrefois, les parents transmettaient à leurs enfants cette reconnaissance qu'ils ressentaient pour la France qui les avait accueillis. Cela aidait leurs enfants à s'inscrire dans le projet français. Ce n'est plus du tout le cas pour les enfants de l'immigration extra européenne». C'est vrai qu'on ne croit plus être «un descendant des Gaulois», selon l'expression nostalgique de Goasguen qui voudrait bien revenir à cet ancêtre commun. A contrario, Catherine de Weden a placé devant la mission le curseur à l'envers, parlant «du regard porté sur les Français issus de l'immigration, lesquels ne sont pas considérés par certains de leurs compatriotes comme Français». «La plurinationalité représente une absence pratique de choix qui ne manque pas de soulever des questions tout aussi délicates concernant le sentiment d'appartenance», écrit Goasguen. Surtout que beaucoup sont des Maghrébins, même dans leurs pays : «En Afrique du Nord, les binationaux représentent près de 54% des Français inscrits sur les listes consulaires. Il apparaît d'autant moins illégitime de s'interroger sur le risque d'un potentiel conflit d'allégeance ou d'intérêts que le vote des binationaux constitue aujourd'hui une réalité incontournable». Le rapporteur en conclut à une fermeture : «Le droit de la nationalité est un droit relativement récent par rapport à notre longue histoire et, en tant que tel, il ne saurait être sacralisé. Il doit, de notre point de vue, refléter ce lien particulier qui doit unir la collectivité incarnée par l'Etat et l'individu : le sentiment d'appartenance nationale.» Il en conclut qu'il faudrait établir un code de la nationalité, un peu comme jadis il y eut un code de l'indigénat. D'ores et déjà, de nombreuses personnalités, à gauche comme à droite, se sont désolidarisées de ce rapport, destiné surtout à occuper la place médiatique.