Le mot «système»(1) est en vogue depuis le «printemps arabe», selon que l'on veuille le faire dégager, le réformer ou le révolutionner. En Algérie, ce mot désigne, pour le commun des Algériens, la puissance des détenteurs de l'autorité publique, civile et militaire, selon les usages qu'ils en font et suivant un code non écrit et que seuls les initiés connaissent parfaitement. Embarqués dans un désir de changement total du système, le moins que l'on puisse faire c'est de tenter de définir ce système algérien qualifié de non-système, difficile de lui opposer un contre-système comme alternative ! Notons tout de suite que ce mot peut être à connotation péjorative (les dérives du système) pour n'en retenir que les définitions qui concourent à sa compréhension au niveau institutionnel d'un pays : ensemble des principes théoriques et des méthodes concrètes de fonctionnement et d'organisation du domaine politique, économique ou social d'un pays sur le plan institutionnel. A l'heure des réformes projetées, les historiens et les psychosociologues algériens ne devraient pas perdre de vue que l'Algérie a subi une double fracturation sociétale depuis 1510, au moins avec la naissance de «l'Etat des Algériens», fondé par les frères Barberousse : - le système ottoman jusqu'en 1830 ; - Le système colonial de 1830 à 1962. Pendant 452 années (501 années si l'on ajoute les 49 ans de l'indépendance), les Algériens que nous sommes avons vécu deux systèmes importés, dont les fondements sociologiques sont pour le moins étrangers à nos valeurs locales qui existaient et continuent d'exister en marge du système officiel, y compris depuis 1962, date de la restauration nationale ou de notre Etat national (voir l'organisation ancestrale à ce jour de nos sociétés profondes qui devrait fournir la sève de l'organisation moderne). C'est le début du diagnostic national que nous devons mener pour comprendre notre soif de changer le système qui nous gouverne sans nous administrer. Pourquoi ? En vérité, au lendemain de la restauration en 1962, mot préféré au mot indépendance, parce que le second n'inclut pas le premier, nous avons commis une faute politique lourde de conséquences sociales que tout un chacun vit aujourd'hui en spectateur qui s'interroge pourquoi les choses ne marchent pas dans notre pays malgré les milliards de dollars investis par les détenteurs de l'autorité à la tête du système d'administration publique de nos affaires socioéconomiques. La restauration n'avait pas eu lieu dans le cadre indépendant parce que l'on continue de fonctionner avec des principes étrangers à notre culture et histoire bien que nous ayons récupéré la maison. Dans ce constat, le déficit démocratique est mis entre parenthèses, pour tenter de traiter les actions des hommes qui ont eu à gouverner l'Algérie par rapport à un système totalement étranger aux mœurs des Algériens : le système reconduit par la loi du 31 décembre 1962, soit le système français non contraire aux valeurs de la Révolution de Novembre dont les effets ne pouvaient être fixés à une date butoir 1975. Peu outillés en ressources humaines dans le domaine des sciences sociales, l'on n'était pas capables de savoir ce qui est compatible ou pas avec les valeurs de Novembre. La science juridique et administrative, très pointue et détaillée, a échappé au discours politique qui était loin, très loin, de l'apprivoiser pour ne pas faire dénaturer son contenu généreux en termes d'annonces de projets pour le peuple. En reconduisant la lettre du système colonial, nous avons aussi reconduit son esprit qui fait dire aujourd'hui à nos compatriotes que ce système est pire que le colonialisme ! Le déficit démocratique est mis entre parenthèses parce que le discours politique fut généreux depuis 1962, en tous cas, il fut consensuel au moins sous le régime de Boumediene (par ses trois révolutions) qui avait pour finalité la promotion du citoyen algérien nouveau. Dans un Etat normalement constitué, le discours politique se jauge par rapport à la réalité institutionnelle qui a pour but de le prendre en charge et le réaliser conformément à ses objectifs. Les hommes et les moyens de cet Etat sont mis en coupe réglée pour les finalités de l'action sociopolitique, soit le développement du pays par utilisation de l'ensemble de ses ressources nationales. Or, en Algérie, si le discours politique fut généreux, tout le monde en convient, le système de réalisation de ce discours fut tout simplement catastrophique, il est l'essence de notre faillite nationale : organisation et fonctionnement définis de la société sur le plan de l'économie, de la politique et des valeurs morales. Cette définition s'applique au système français imprudemment reconduit en Algérie qui ne peut être maîtrisé ni par les administrateurs, ni par les administrés, ni par les justiciables ni par les justiciers, ni par les citoyens, ni par les croyants que nous sommes devenus au double plan cultuel et culturel. Dans ce sens, la religion, comme durant la longue nuit coloniale, constituait le ciment ou le phare qui évite tous les errements enregistrés. Malheureusement, même cette dernière fut instrumentalisée pour faire perdre encore du sens aux Algériens qui se découvrent mécréants ou «taghouts», selon les élucubrations des ténors de l'islamisme politique en dérive planétaire. L'analphabétisme et l'illettrisme des Algériens de 62, et leurs enfants par la suite, ne leur a pas permis de fonder leur action citoyenne dans le cadre du moule français(3) reconduit dont les principes de fonctionnement les repoussaient : que faire face à une administration qui refuse de vous recevoir, vous enjoignant d'écrire sur la base du principe qui dit que l'administration ne parle pas, elle écrit ; ce faisant, elle ne vous répond pas ! Que faire face au principe constitutionnel qui dit que nul n'est censé ignorer la loi quand personne ne lit le Journal officiel et ne sait où le trouver ? Que faire face à un juge qui vous déboute quand un principe de droit exige du juge de juger que pour ce qui lui est demandé et de fermer les yeux sur ce qui ne lui est pas demandé ? Que faire face à un avocat qui vous fait perdre vos droits pour insuffisance de moyens de défense, surtout pas le poursuivre par devant ses pairs de l'Ordre ? Que faire face aux fautes des services publics qui vous causent des préjudices moraux et matériels ? Que faire face à une police qui ne daignera vous recevoir que quand le sang aura coulé, sa conception d'atteinte à l'ordre public en porte-à-faux avec le vrai sens enseigné ? Que faire face aux impôts qui vous demandent de payer d'abord et de réclamer ensuite ? Que faire pour vous défendre quand vous êtes présumé coupable et pas innocent ? Que faire devant l'arbitraire des détenteurs de l'autorité publique qui détournent leur pouvoir à des fins personnelles visibles à l'œil nu ? Que faire face à des procureurs qui ont peur pour leur gagne-pain et l'ensemble des fonctionnaires honnêtes qui s'avouent vaincus par la peur des lendemains qui ne chantent pas ? Que faire face à une justice qui vous rejette pour vice de forme ? Alors que c'est le fond qui compte pour vous, vous rendre justice à peu de frais ! Que faire face à des élections truquées ? Quand les partis politiques vivent au crochet des subventions publiques, tout comme les associations de la société civile qui n'activent que pour le prince local ? Que faire quand les autorités publiques elles-mêmes vivent par le mensonge des chiffres qui suivent la voie hiérarchique induisant en erreur tout ce qui se trouve sur son parcours jusqu'au sommet des pyramides ? Que faire face au système officiel qui vous lance à la figure que la loi ne protège pas les «imbéciles» ? Alors que votre culture, assise sur votre religion au sens culturel historique vous oblige à protéger les faibles et les pauvres, les imbéciles et les intelligents ? Vous oblige à la solidarité sans faille et en toutes circonstances avec vos concitoyens et tous les hommes qui vous demandent secours, fussent-ils étrangers au pays ? Voilà schématisé le théâtre de vie des Algériens d'aujourd'hui vivant dans des contradictions officielles et officieuses qui régissent le fonctionnement de leurs rapports avec l'Etat et avec eux-mêmes sans que les acteurs ne sachent où se trouvent ces contradictions. Ce qui a eu pour effet de voir les Algériens inventer un système D composé des moyens ingénieux qui permettent de se tirer d'affaire, c'est-à-dire un système «débrouille» en marge de la légalité, d'où la grande corruption des grands et des petits ! Par ces lignes, nous exprimons notre désir sincère de voir la génération de Novembre encore aux affaires se réveiller pour prendre conscience du piège dans lequel elle a fourré le peuple algérien depuis 1962 : c'est la bureaucratie française dont nous avons hérité et à laquelle nous avons ajouté la nôtre, citation intégrale du président Bouteflika dite à Paris en juin 2000 à un journaliste qui l'interrogeait sur la situation en Algérie ! A sa lecture, nous avions nourri un grand espoir de voir enfin un président comprendre ce qu'il faut faire pour pallier ladite situation, hélas ! Le rapport du CRSME (Comité des réformes des services et missions de l'Etat) n'a pas été publié, nous ignorons sa teneur et sa portée stratégique. Ce système français d'origine colonial n'a pas permis de construire un Etat de droit qui survive aux hommes et aux événements, encore moins une société qui se reconnaisse dans sa philosophie. Parce qu'il est frappé de beaucoup de vices de fond contraires aux croyances culturelles des Algériens et des Algériennes, seuls les initiés en réchappent et à quel prix ? Ce système a eu pour seul résultat un Etat déliquescent vivant en autarcie et qui ne comprend plus les revendications de changement que le peuple, tout le peuple, lui adresse par les formes qui seyent à une société en mal de culture et de civilisation, une société profondément orale qui ne juge que sur le concret. En ce sens, l'Etat reconduit a bloqué le développement du sens civique des Algériens qui ne comprennent plus son fonctionnement budgétivore pour des résultats médiocres et contraires aux objectifs annoncés ! Aussi, il leur tape sur le système parce qu'il a créé un esprit de système révoltant les poussant au suicide, l'immolation et la harga. Il manque aux réformes en projet de s'atteler à inventer un ensemble ordonné et structuré (d'idées ou d'éléments en relation), envisagé comme un tout logique, la constitution d'un système philosophique sur un modèle cohérent (d'action ou de pensée), à l'organisation et à la structuration non figées pour ne pas avoir à ériger la répression en système.C'est l'objectif de la structuration d'un système porté par ses acteurs et ses figurants comme une destinée collective et partagée. C'est la construction de l'Etat de droit, social et démocratique, auquel chacun aspire du tréfonds de son être. C'est le but de Novembre. Ce message émane de ceux qui étaient appelés à vous juger(3), il s'adresse à l'Histoire d'un grand pays dont le nom est El Djazaïr ayant toujours vécu dans le giron euro-méditerranéen sans renier son appartenance au monde berbéro-arabo-musulman et africain, pour toutes les causes justes des peuples qui aspirent à la liberté, la justice, le progrès, la stabilité et la sécurité. Fasse Dieu que les esprits s'éveillent et se réveillent sans la violence qui pointe son nez à l'horizon… pour une partition que personne ne souhaite voir jouer. Notes de renvoi : -1) Ensemble de méthodes et de procédés organisés qui concourent au même résultat. -2) Si en France il a largement évolué, en Algérie il est resté figé à 62. -3) Cf. : Proclamation du 1er Novembre 1954 «A vous qui êtes appelés à nous juger».