Khaled Sid Mohand est journaliste indépendant. Basé à Damas, il était correspondant pour Le Monde et la radio France Culture en Syrie. En avril, il a été emprisonné pendant trois semaines par les services de renseignement syriens. - Le régime d'Al Assad peut-il encore résister à une contestation populaire qui ne faiblit pas ? Difficile à dire. Les différents acteurs régionaux et internationaux ne sont pas favorables à une chute du régime. Personne dans la région, que ce soit la Turquie, Israël ou l'Arabie Saoudite, n'a vraiment envie de voir Bachar tomber. Quant aux pays occidentaux, regardez les récentes attaques contre les ambassades française et américaine à Damas. Ces actes sont graves et symboliquement très violents. Eh bien la réaction d'Hillary Clinton a été relativement modérée. D'après moi, on est dans une impasse. Il y a une radicalisation dans les deux camps et aucun n'a vraiment de porte de sortie. Le régime est dans une logique meurtrière et ne peut plus vraiment faire marche arrière. Comme dans toutes les révolutions, il ne pourra basculer que si une proportion importante de l'armée et des forces de sécurité se retourne contre lui. Pour le moment, ce n'est pas le cas. A court terme, je pense que la situation actuelle pourrait encore durer quelques mois. La seule façon de résoudre cette crise pourrait être une médiation de la Turquie et un régime de transition dirigé par Bachar. - L'opposition syrienne s'est réunie le week-end dernier à Istanbul lors d'une «Conférence de salut national». Cette opposition est-elle crédible ? Qui sont ses leaders ? Crédible, elle l'est. A mes yeux, la question est plutôt : est-elle légitime ? C'est moins évident. Lorsque j'étais à Damas, j'avais rencontré beaucoup de manifestants. Quelle que soit leur sensibilité politique, marxistes, islamistes, ou autre, aucun ne se référait à un parti présent à Istanbul, il y a une semaine. Il est donc très difficile de mesurer la légitimité de la Conférence de salut national. Ses membres sont très prudents et essaient de coller aux revendications des manifestants syriens. Parmi eux, un homme se démarque. Il s'agit de Haitham Maleh, une figure respectable et respectée de l'opposition syrienne. Proche des Frères musulmans, c'est un avocat, ancien responsable d'Amnesty International en Syrie. Il s'agit plus d'un «droit de l'hommiste» que d'un politique. Il a beaucoup marqué la conférence du week-end dernier et était sur toutes les chaînes de télévision. Haitham Maleh a été libéré en mars et les autorités syriennes l'ont laissé aller à Istanbul. Il faut peut-être y voir un geste du régime pour pouvoir ensuite négocier un gouvernement de transition avec les opposants. - L'ONU peut-elle faire bouger les choses en accentuant la pression sur Bachar Al Assad ? Non, clairement non. C'est un problème syro-syrien, aucun étranger ne vient y mettre les pieds. Il n'y a rien à attendre du côté des Nations unies. Il n'y a même pas eu de véritable condamnation verbale de la répression organisée par le régime. L'Union européenne et les Etats-Unis devraient même contourner le Conseil de sécurité s'ils veulent adopter des sanctions unilatérales contre la Syrie. La situation géopolitique au Moyen-Orient est complexe. Dans ce paysage régional en perpétuel mouvement, la Syrie est un pôle de stabilité au milieu de la Palestine, du Liban et de l'Irak. Mais aujourd'hui, la situation a changé. Depuis un mois, la Syrie n'incarne plus vraiment la stabilité comme elle le faisait avant. Par exemple, elle remplissait jusque-là le rôle de leader nationaliste arabe face à Israël et aux Etats-Unis. Entre Erdogan qui annonce une visite prochaine à Ghaza et la montée en puissance des Frères musulmans en Egypte, cette responsabilité semble se déplacer sur les épaules des voisins turcs et égyptiens, ce qui ne fait qu'entailler un peu plus la légitimité régionale du régime de Bachar Al Assad.