La météo est le meilleur indicateur pour distinguer les jeûneurs des autres. Les premiers trouvent le ciel clément, et le reste de la population n'en finit pas de râler sur ce mois d'août automnal d'où le soleil est presque banni. De notre correspondant à Paris Rémi Yacine Sofiane a un problème sérieux, au point de passer des coups de fil à plusieurs de ses proches. Peut-il jeûner avec sa maladie ? Evitant de prendre l'avis de son frère aîné laïque, avec forcément une réponse attendue, il interroge son médecin, injoignable, et sa famille par texto. Et ça marche ! Son téléphone n'arrête pas de sonner. Chacun y va de son avis. Au décompte du halal pas halal, le premier l'emporte largement. Donc démocratiquement, il a décidé d'arrêter le jeûne. Le Ramadhan ne sera plus désormais qu'un souvenir. En bon Algérien de bonne famille, le conseil de sa mère a pesé plus lourd dans son choix. Le prix des communications lui est revenu aussi cher qu'une consultation d'un médecin spécialiste. Pour ses sorties, géographiquement il ne se déplacera que de quelques centimètres.A Ménilmontant, quartier populaire un peu bobo un peu prolo, le Miyanis et Le Soleil sont deux cafés tenus par des patrons algériens. Le premier est peu fréquenté hors Ramadhan, le second le contraire. Le Miyanis joue la carte halal, boissons sans alcool, le second est renommé pour sa célèbre terrasse. La clientèle joue à la chaise musicale, un peu, beaucoup, pas halal du tout. Rabah est un fidèle des deux. Hors Ramadhan, il est toujours attablé au Soleil, même s'il fait plutôt gris presque tout l'été, et pendant le carême, à l'heure du ftour, il débarque au Miyanis. «J'aime le côté festif, les repas entre amis, je retrouve un peu mon Alger. C'est une affaire de bruit et d'odeurs, enfin de musique et les senteurs orientales. Finalement, on paie plus pour la nostalgie que pour la nourriture.» Après le repas, il s'empresse de rejoindre Le Soleil. Les bonnes habitudes ne se perdent pas. Halal, un peu, beaucoup, pas du tout A Belleville, aucun risque de nostalgie, sauf pour Rabah, né et élevé sur les hauteurs d'Alger. En cette période estivale, la sortie du métro et les rues adjacentes donnent au quartier un air de déjà-vu pour les Algérois : les Trois-Horloges, Bab El Oued. Entre les biffins, les vendeurs à la sauvette, les étalages halal, les clients pour la plupart musulmans, les gens qui discutent debout à longueur de journée, c'est la cour des Miracles version est-algéroise. Les commerçants se plaignent de cette concurrence déloyale, mais le phénomène ne fait que prendre de l'ampleur malgré quelques opérations de la police pour déloger les vendeurs sur les trottoirs. Et c'est là que Nadia fait ses courses. Etudiante, elle gère au centime près son budget. Elle a réduit son volume horaire à son travail dans la restauration rapide pour finir son master. Avec force de détails, elle explique qu'entre sa chambre de bonne, ses frais d'université, ses frais usuels, son aide au logement bloquée, elle en est réduite à économiser sur tout. Belleville représente pour elle une grande surface à ciel ouvert. Son père, ancien travailleur chez un constructeur automobile, lui avait laissé sa chambre au foyer de la Sonacotra, pour jeunes travailleurs initialement, mais a dû remettre les clés. Nadia est croyante culturellement. Elle respecte le Ramadhan et estime qu'elle en est quitte avec la religion.