S'achemine-t-on vers une récession en double creux ? Si les avis divergent sur la question, la montée subite de l'aversion au risque a, une nouvelle fois, plongé les places financières dans le rouge, cette semaine. Le secteur bancaire européen et ses difficultés de refinancement paralysent les marchés, tandis que la croissance en zone euro frôle le chiffre nul à 0,2%. Aux USA, le PIB n'a progressé que de 1,3% au deuxième trimestre, après seulement +0,4% en début d'année. Autant d'éléments qui soutiennent les prévisions alarmistes des banques d'affaires concernant le ralentissement de l'économie mondiale. Morgan Stanley a d'ailleurs indiqué, dans une étude publiée jeudi, que les Etats-Unis et la zone euro sont «dangereusement proches de la récession», même si ce n'est pas pour l'heure l'hypothèse de base. JPMorgan Chase lui a emboîté le pas en abaissant, vendredi, sa prévision de croissance des Etats-Unis à 1% au quatrième trimestre 2011 et de 0,5% seulement au premier trimestre 2012. Cependant, aucun analyste ne prévoit de récession (deux trimestre consécutifs de contraction du PIB). Patrick Moonen, stratégiste senior chez ING IM, a indiqué à l'Expansion que «la probabilité que les Etats-Unis et/ou l'Europe ne tombent en récession dans les prochains mois n'est que de 30 à 40%», même si ce risque «est en forte hausse». Ainsi, Herman Van Rompuy, futur président de la zone euro, a reconnu que «la croissance peut être plus faible qu'attendue. Mais nous ne prévoyons pas de croissance économique négative, de récession». L'analyste boursier à la banque suédoise Carnegie, Noureddine Legheliel, a présenté une série d'arguments avançant la thèse du ralentissement économique plutôt que la récession. Il s'agit en premier lieu de l'analyse des valeurs cycliques, ce sont des valeurs qui suivent les cycles économiques, il s'agit surtout de valeurs du BTP et de la sidérurgie. Selon lui, les valeurs cycliques en Bourse ont perdu jusqu'à présent 30 à 35%. Et d'ajouter que si la perte de valorisation boursière atteint les 50-60%, on pourra parler de récession. L'analyste évoque également l'absence de «profits warnings» (avertissements sur les bénéfices) de la part des grandes entreprises. Il s'agit également de l'indicateur des insiders trading (le trading des initiés). Il précise qu'au niveau des places financières, on a constaté une augmentation inhabituelle des volumes des achats d'actions par des chefs d'entreprise et ceci prouve, selon lui, que les patrons de ces firmes ne croient pas à la récession. Enfin, M. Legheliel évoque la théorie des cycles économiques et le mouvement des marchés financiers, selon lequel le début d'une récession économique classique se signale par une poussée des tensions inflationnistes qui induit une montée des taux d´intérêt et la baisse du marché obligataire suivie dans les six mois de la chute du marché des actions laquelle touche le marché des matières premières, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les états en mal de solutions Toutefois, ce point de vue supporte un certain nombre de critiques, d'autant qu'il présente une analyse boursière à moyen terme. Selon Kamal Benkoussa, Partner chez GH LLP, Hedge Fund macroéconomique à la City, si l'on peut s'attendre à une réponse de la part des autorités monétaires pour tenter de relancer la croissance, cela demeurera insuffisant pour éviter une troisième vague de ralentissement économique ou une récession, car le modèle économique et financier a démontré ses limites. Les incertitudes sur la croissance demeurent donc entières, d'autant que deux facteurs sont susceptibles de plonger les économies de la zone OCDE dans la contraction. Il s'agit en premier lieu de la poursuite de la chute des valeurs boursières laquelle pourrait peser lourd sur les entreprises. Ensuite, l'adoption de plans d'austérité en Europe et aux Etats-Unis pourrait créer un cercle défavorable à la croissance. Les marchés attendent le discours du président de la Fed, vendredi 26 août, au cours duquel il est attendu l'annonce d'une troisième période de relâchement monétaire. Aussi, les investisseurs misent leurs espoirs sur les Etats-Unis, puisque Barack Obama a évoqué la possibilité d'un nouveau stimulus fiscal pour soutenir l'économie. Toutefois, ces mesures pourraient n'avoir qu'un effet limité sur la croissance. Pour le théoricien du Double Dip Nouriel Roubini, les responsables politiques, qui ont usé jusqu'à présent de solutions pour relancer l'économie comme les plans de stimulation budgétaire, les plans de sauvetage pour les banques, les taux d'intérêt proches de zéro, le relâchement monétaire et le confinement de la dette, se trouvent actuellement à court de solutions et même démunis, puisqu'une «deuxième vague de sauvetage des banques est politiquement inacceptable et économiquement irréalisable» et que «la troisième période de relâchement monétaire sera bien plus timide et bien moins performante pour regonfler le prix des actifs et restaurer la croissance». Pour sa part, l'ancien économiste en chef du FMI, Kenneth Rogoff, estime, dans une de ses tribunes, qu'il ne s'agit plus aujourd'hui de parler de récession ou de grande dépression, il est plus utile de parler, selon lui, de «grande contraction» dans laquelle la dette constitue le problème numéro un. A cet «endettement catastrophique qui touche l'économie à l'échelle mondiale», il sera impossible, selon lui, «de remédier rapidement sans la mise en place d'un système de transfert de la richesse des créanciers aux débiteurs, en recourant soit au choix du non-paiement, soit de la répression financière, soit de l'inflation».