Investissant depuis hier El Azizia, bunker d'El Gueddafi, les insurgés libyens n'ont manqué ni de courage ni de convictions, mais leur succès n'aurait pas été au rendez-vous sans l'appui aérien des avions de combat et des hélicoptères de l'OTAN et sans le soutien actif sur le terrain des agents de renseignement occidentaux. C'est ce qui différencie l'insurrection libyenne des soulèvements tunisien et égyptien conduits par les seules forces internes. Cette donne est fondamentale, car les grandes capitales occidentales, qui se sont investies militairement et diplomatiquement, vont, une fois la situation stabilisée, réclamer un retour d'ascenseur des nouveaux dirigeants libyens. Washington, Londres et Paris ne se sont pas impliqués pour la «beauté du geste», encore moins pour introduire en Libye la démocratie et les droits de l'homme. Si tel était le cas, ces capitales auraient volé au secours des peuples syrien et yéménite. Face à leurs tyrans, ceux-ci n'ont eu à présenter que leur poitrine nue. A l'image des dirigeants irakiens au lendemain de la chute de Saddam Hussein, le CNT libyen démarre avec de lourds handicaps. Il est redevable en large partie à des puissances étrangères en quête permanente de dividendes consistantes et la Libye s'y prête bien : elle dispose de grandes richesses en hydrocarbures et elle va entamer une période de reconstruction génératrice de juteux contrats. Du fait de l'ampleur de la tâche dans un pays sans institution, le CNT aura besoin, pour de longues années encore, du soutien occidental, ce qui ne manquera pas de peser lourdement sur le choix des orientations politiques à donner au futur Etat libyen. L'Occident fera tout pour que la première République libyenne évolue dans son giron idéologique et politique et ses futures institutions inspirées du modèle ultra libéral. Il pèsera lourdement sur le processus de transition, sa tâche étant facilitée par l'absence d'un corps social puissant tel celui qui, en Egypte et en Tunisie, a réussi à faire éviter les déviations et les récupérations de leur révolution. La Libye est essentiellement une mosaïque de tribus et sa classe politique, laminée par quarante années de despotisme, est réduite à quelques personnalités exilées à l'étranger. Aucun parti n'est là pour représenter le peuple et traduire ses aspirations. La composante hétéroclite du CNT n'est, enfin, pas de nature à lui permettre de jouer un rôle d'unificateur de la population libyenne. Il risque d'être débordé par les islamistes dont la présence est bien réelle dans le pays. Ceux-ci pourraient tirer profit du vide politique, des errements de la transition et de la forte mainmise occidentale sur les ressources du pays et sur le CNT. Saut dans l'inconnu ? Processus à l'irakienne ?